La Vie au Ranch


La Vie au Ranch
Sophie Letourneur

Jeudi 11 Novembre
16h30
Séance en présence de
Sophie LETOURNEUR




Prix du Public & Prix du Film Français,
Belfort 2009

"S'il fallait rattacher son film à une tradition cinématographique, ce serait celle, rare, de femmes cinéastes comme Noemie Lvovsky (Petites, La Vie ne me fait pas peur) en France, ou plus récemment Drew Barrymore (Bliss) aux Etats Unis, qui placent les filles au centre, non comme objets de désir, mais comme sujets actifs, désirant, conquérant, reléguant les garçons au rang d'accessoires, à la limite. (...)

On pourrait aussi évoquer Barbara Loden, surtout dans la dernière partie du film, lorsque les filles se retrouvent pour des vacances sur un plateau d'Auvergne, que le flot de paroles s'épuise enfin, comme saturé du vide abyssal qu'il a produit, et qu'une violente mélancolie s'engouffre. Concentré sur une période très fugitive de l'existence, ce moment où la fusion de l'individu au sein d'un collectif amical vient suppléer à l'abandon, encore tout récent, du cocon familial, le film en saisit aussi la fin. L'air de rien, il vous fait courir le long de l'échine le frisson doux et cruel des paradis perdus."

Isabelle Regnier - Le Monde



"Sophie Letourneur (premier long métrage) vient de réaliser le film de filles le plus étonnant - le plus déroutant - depuis l'invention du Chick flick ("film pour poulettes"). Plongée en apnée chez les minettes parisiennes, façon Rohmer chez les pétasses 2010, et véritable document sur le vocabulaire des meufs d'aujourd'hui ("Tu fais quoi, là? Parce que moi, à part rien foutre, j'ai rien à foutre": version moderne du "Qu'est-ce que je peux faire, j'sais pas quoi faire" d'Anna Karina chez Godard). Tout paraît improvisé, rien ne l'est - avec, en particulier, un travail ciselé sur le son. (...)"

Guillemette Odicino - Télérama


"Existe-t-on en tant qu'individu au sein d'un groupe ou y est-on fatalement dissous?, interroge Sophie Letourneur. Ca, c'est pour la partie théorique. En pratique, La Vie au Ranch est une comédie inédite avec cent fois plus de répliques cultes que dans n'importe quel film de biture. Et surtout pas un film girly encombré de codes générationnels.

(...) Pour un premier long métrage, Sophie Letourneur capture quelque chose de très vivant et de très joyeux en train de mourir. Et c'est ce profond sentiment de nostalgie qui, en dernier lieu, nous étreint."

Stéphanie Lamôme - Première


"La Vie au Ranch est une partition de musique, musique pour orchestre, dont la maîtrise nous oblige à écouter au delà des quatre phrases de violon isolé au milieu de l'ensemble. C'est ainsi qu'il faudrait regarder le film. C'est une invitation à se positionner en tant que spectateur, une invitation à regarder autrement: c'est un geste de cinéaste, qui n' a pas d'égal pour l'originalité de sa recherche (...) "

Chiara Malta, cinéaste.

Sophie Letourneur a tourné un court-métrage "la tête dans le vide" qui a reçu de nombreux prix et deux moyens-métrages très remarqués "Manue Bolonaise" (quinzaine des réalisateurs 2006) et "Roc et canyon", (prix spécial du jury, Vendôme 2007).


"J'ai voulu montrer des moments anodins de la jeunesse, des moments qui n’ont rien d’exceptionnel en soi, mais qui le deviennent lorsqu’on se rend compte qu’on n’est plus capables de les vivre de la même façon.

Au quotidien, ces moments-là nous semblent sans intérêts particuliers. L’action est banale ; ce qui l’est moins, c’est le lien éphémère qui existe entre ces personnes, c’est de se sentir davantage soi avec les autres que toute seule dans une période où l’on se cherche. La force de ce lien autorise le naturel, l’aisance, la confiance et la décontraction. Ces discussions entre amies finissent par se fondre en une pensée en roue libre, comme si l’on exprimait tout ce qui nous traverse, sans barrières. Une disponibilité totale, une pause à la fin des études avant que le groupe ne se déforme, ne se sépare, juste avant que chacun vive sa vie, son travail, son couple.

Dans ce film, je veux mettre en lumière l’exception subtile de ces moments comme suspendus dans le temps, faire sentir ce qu’ils ont d’étonnant, dans leur banalité apparente. Filmer ce qu’on ne peut vivre qu’à un certain âge, c’est ma façon de parler de cet âge. C’est ce que je tente de faire avec cette trilogie : la préadolescence pour Manue Bolonaise, l’adolescence pour Roc et Canyon, la post-adolescence pour La Vie au Ranch. Au centre de ces trois films, l’amitié adolescente et la séparation, la nostalgie de ce qui ne pourra plus être vécu et le deuil d’une partie de soi à chaque fois". Sophie Letourneur



Interview de Sophie Letourneur

L’histoire de ce film semble très personnelle, presque intime, avez-vous réellement vécu toutes ces situations dans votre propre vie?

Oui, mais certaines situations ont été transposées car je ne voulais pas non plus trop coller à ma réalité, par exemple j’ai failli partir à Berlin mais je ne l’ai pas fait comme dans le film, je me suis arrêtée dans le 14e arrondissement… Les choses sont aussi assez différentes car le groupe de filles que j’ai choisi pour l’interprétation existait déjà, elles m’ont donné un peu de ce qu’elles étaient et m’ont aidé à me détacher de ma propre histoire, au final c’est un mélange de réalité et d’adaptation. Je choisis des gens qui ne sont pas comédiens mais qui me ressemblent au moment où je vivais à cet âge, je les mets en situation et j’aime qu’ils s’approprient mon histoire, c’est une façon de m’en débarrasser, de m’en déposséder, d’évacuer quelque chose en disant voilà, ce sont des périodes que j’ai vécu, elles appartiennent à tout le monde et à personne à la fois.

Avez-vous écrit le scénario de manière très précise ou avez-vous laissé une part d’improvisation aux comédiennes pendant le tournage?

Il n’y a aucune improvisation au tournage et le scénario a été construit en plusieurs étapes : j’ai d’abord écrit un séquencier qui collait à ma vie et lorsque l’on voit le film aujourd’hui on retrouve toutes les scènes de ce séquencier, avec quelques dialogues supplémentaires que j’avais repêché dans mes archives personnelles. Ensuite, lorsque j’ai trouvé le groupe, j’ai réadapté le scénario aux filles, qui sont de vraies amies dans la vie. L’étape suivante a été de créer un dispositif d’écriture qui mette en situation le groupe dans les scènes préparées du séquencier, de tout enregistrer pendant des heures de répétition en leur donnant des pistes de travail et en leur expliquant la narration. A partir des 4 à 5 heures de son captés sur chaque scène, j’ai récupéré les moments les plus intéressants et les plus drôles et je les ai montés avec un logiciel de son. La bande son ainsi créée était copiée sur CD puis distribuée aux filles qui apprenaient par coeur leur texte à partir de ce support. Le groupe étant constitué comme un corps, il est important pour moi que les phrases s’entrecoupent, se chevauchent, qu’il y ait une simultanéité maitrisée du son et des dialogues. Les filles n’avaient plus alors qu’à répéter ensemble le CD, au même titre qu’une partition ou une chanson. Je préfère que ce soit bien préparé plutôt que de filmer en continu et de faire des impros au moment du tournage, ça n’est pas mon truc.

Au début du film, le spectateur est complètement intégré à l’action mais dispose de peu de pistes pour identifier les personnages. Qui est vraiment le personnage principal de cette fiction ?

C’est vrai que le spectateur est jeté dans la fosse au lion, un peu perdu, il ne sait pas qui est qui. La bande agit comme le premier personnage du film et personne ne peut vraiment s’en dégager. Le ranch est à la fois le cocon et le carcan du groupe. Mais c’est surtout l’histoire d’un départ, celui de Pam, le mien. Parfois ça se passe en douceur et tout va bien, dans mon cas la rupture a été plus brutale. Dans la bande il y a quelque chose de chaud, de doux, de rassurant mais en même temps ça devient vite insupportable et étouffant, provoquant l’idée de rupture.

On sent dans le film le moment où se précise cette idée, lorsque les filles partent dans les montagnes auvergnates. Cette escapade est-elle une forme de respiration?

Je ne l’ai pas pensé en tant que respiration mais lorsque j’ai commencé à me disputer avec mes amies nous sommes parties dans cette maison de campagne et la tension était davantage due au silence. A partir du moment où il n’y a plus le flot incessant de leur vie parisienne, elles se retrouvent faces à elles même et cela devient angoissant. Elles sont détachées de leur environnement habituel, avec leurs codes, leurs private joke et toujours ce même truc qui tourne en boucle. Le fait de les déplacer dans d’autres contextes crée des problèmes, des incompréhensions, des conflits. C’est peut être aussi un soulagement pour le spectateur de sortir de leur vacarme épouvantable à partir du moment où Pam dit qu’elle n’en peut plus de la vie au Ranch. Quelque chose se dégonfle, quelque chose est mort et pour moi c’est comme si je commençais un deuxième film.

C’est donc à ce moment que se dégage le personnage fort du film?

Pam se distingue alors comme personnage puisqu’elle quitte le groupe mais elle n’a pas encore les armes pour en devenir vraiment un, il lui reste du chemin à parcourir. Elle souffre du fait que les autres n’acceptent pas ses différences, elle est plus trash, plus fragile, elle se cherche encore, c’est ce que j’ai voulu exprimer en lui donnant ce rôle d’artiste dans les derniers plans à Berlin. Quelque chose est un peu bâtard pour elle dans cette fin de film, c’est ce qui m’intéresse car ça prépare aussi le prochain film de façon toujours très spontanée, comme une forme de suite avec d’autres personnages, qui collera à d’autres périodes de ma vie.

(propos recueillis par Vincent Courtois)




Site du film



Entretien autour de 3 plans



par Independencia

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