DERNIER MAQUIS de Rabah Ameur-Zaïmèche



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Soirée Spéciale le 7 Novembre

En présence de
Rabah Ameur-Zaïmeche



et de
Michelle Guerci,
journaliste et chargée de Cours à Paris VIII


Avec le soutien de



et en partenariat avec


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La palette est un outil de peinture,

servant à mélanger les couleurs.


Une palette de manutention est un accessoire destiné à rationaliser la manutention, le stockage et le transport des marchandises.



Le ragondin (Myocastor coypus) est un mammifère originaire d'Amérique du Sud, introduit en Europe au XIXe siècle pour l'exploitation de sa fourrure. Tous les individus présents en Europe proviennent d'évasions ou de lâchers volontaires.


Une structure sociale implique un bon système de communication. Beaucoup de Caviomorphes dont le ragondin utilisent une palette de sons ayant chacun une signification précise.




Parole et palette



Décrivant le quotidien d'une entreprise de réparation de palettes, Dernier maquis s'impose comme une brillante galerie de caractères, qui observe avec un oeil acéré le pouvoir de la parole et l'universalité des luttes.
Causer, s'exprimer, libérer la parole pour mieux saisir le monde tel qu'il va : c'est une tradition ancienne du cinéma français (qui a par exemple fait merveille chez Jean Renoir), dont on observe depuis quelques années la vivifiante réactualisation. Si le multi-césarisé Abdellatif Kechiche a parfaitement su lier réinvention de la langue française et vertiges de l'identité, Rabah Ameur-Zaimeche frappe tout aussi fort avec ce Dernier maquis, qui dépeint avec grâce la circulation de la parole dans une petite entreprise. Le patron, Mao, est musulman et tente, à mi-chemin entre autorité et complicité, d'établir un juste rapport avec ses employés, tous originaires du continent africain.
D'abord comique et burlesque (l'ubuesque épisode de la circoncision), le film s'achemine ensuite vers une gravité qui ne cède jamais au misérabilisme ; au contraire, c'est par le biais d'une esthétique ensoleillée et d'un rythme enjoué que Dernier Maquis confronte ses personnages aux difficultés contemporaines.

Ce qui frappe ici est bien la souveraineté avec laquelle s'articulent problématiques sociales et cohérence des caractères. Si le moteur narratif du film est l'ouverture d'une mosquée au sein d'une entreprise, permettant une solide réflexion sur les rapports liant religion, travail, communauté et individualisme, Rabah Ameur-Zaimeche transcende toute catégorisation par la flamboyante galerie d'affects qu'il dessine. Prisonnier d'aucun sujet, affranchi de tout personnage central, le film navigue avec liberté au sein de cette équipe qui répare des palettes. Le réalisateur n'oublie pas de replacer les rapports humains au sein d'une plus vaste nature en offrant un long interlude autour d'un ragondin qui s'est introduit dans l'entreprise. D'une insondable poésie, ce passage symbolise parfaitement l'ambition de Dernier maquis : capter avec acuité les remous de l'existence, en poussant toujours plus loin la précision du regard sur l'Hexagone d'aujourd'hui. Après Wesh Wesh, qu'est-ce qui se passe ? et Bled number one, Rabah Ameur-Zaimeche ne pouvait pas mieux clôturer sa trilogie.
Damien Leblanc




Le troisième long-métrage de Rabah Ameur-Zaïmèche interroge très subtilement l'islam et l'identité prolétaire. Analyse filmique d'un «maquis» dont l'énigme devient finalement résistance :







ENTRETIEN avec François Bégaudeau





Au fil de ses trois films, Wesh Wesh qu’est ce qui se passe ?, Bled Number One et Dernier Maquis, Rabah Ameur Zaimeche a construit un univers cohérent et personnel. Il y a posé le problème de la vie des cités, du poids des traditions musulmanes en Algérie, maintenant le rapport patrons-ouvriers et le rapport à l’Islam. Sujets lourds qui prennent chaque fois d’autant plus d’ampleur que le cinéaste s’abstient de prononcer de jugement, décrivant plutôt une situation que le spectateur investit seul. La grandeur de ces films, et plus encore de Dernier Maquis, est l’habileté avec laquelle Rabah Ameur Zaimeche travaille ensemble forme et fond, pose des questions en portant un regard humaniste sur ses personnages en même temps qu’il joue avec les couleurs, formes et rythme d’un film qui s’offre à la contemplation autant qu’à la réflexion.

Chacun des trois films de Rabah Ameur Zaimeche est fortement ancré dans un lieu, auquel le récit est intrinsèquement lié et qui dicte son rythme au film. Wesh Wesh qu’est ce qui se passe ? décrivait la vie d’une cité parisienne, Bled Number One les problèmes de l’archaïsme musulman dans une campagne algérienne magnifiée. Comme dans son premier film où l’on sortait peu de la Cité des Bosquets, Dernier Maquis reste concentré dans un entrepôt de palettes, également garage mécanique, dans une zone industrielle. Lieu que le cinéaste a rencontré comme une évidence avant d’écrire son film, et dont il exploite majestueusement le potentiel cinégénique. Abordé comme un tableau, ce décor est l’objet d’un jeu avec les couleurs, rouge des milliers de palettes, jaune des cirés, bleu du ciel, vert des arbres... Corps des travailleurs, engins, blocs de palettes... ne cessent d’être en mouvement et construisent sous nos yeux une toile de couleurs et de formes en perpétuelle métamorphose. On nous laisse le temps de prendre le pouls de la danse étrangement légère des machines et matériaux, des gestes de travail éreintant. La fluidité des mouvements de caméra participe de la grâce de cette chorégraphie, de ces glissements en douceur. Au milieu des travailleurs et des palettes, elle erre, cherche ce qu’il peut bien y avoir d’intéressant à filmer, hésite, re cadre, reste longtemps devant la même chose. Elle semble redoubler l’attitude de Rabah Ameur Zaimeche et du personnage qu’il interprète, Mao. Patron de l’entreprise, ce dernier se promène parmi ses employés pour vérifier qu’ils accomplissent correctement leurs taches. Derrière lui, le cinéaste semble regarder les êtres qu’il a choisi de mettre en scène. Comme celui de Rabah / Mao, le regard du spectateur oscille entre attention au récit et contemplation. Un remarquable travail sonore rendant poreuse la frontière entre les bruits et la musique concrète participe du rythme fascinant de ce ballet où l’on respire, de mouvements fluides à hauteur d’hommes en envols de la grue.



La force de Dernier Maquis est de parvenir, dans les interstices, en deçà ou au delà de cette fluidité légère, à poser les questions graves du rapport patrons-employés, du rapport à l’Islam (à la religion). La pression qu’exerce Mao sur ses ouvriers est d’abord sourde mais omniprésente : ça et là en sont distillés des indices, lorsque de son regard doux il invite un manœuvre à confirmer qu’il est heureux, qu’il vérifie le pointage... Dans Bled Number One, le problème de l’archaïsme des traditions musulmanes était abordé de façon similaire, surgissant le temps d’un plan, d’une scène ou d’une phrase, cette finesse ne rendant que plus prégnantes les questions soulevées. Si le spectateur décèle la manipulation de Mao lors de ses interventions au début, les personnages ne le font pas encore. La prise de conscience d’une partie d’entre eux a lieu lorsqu’il fait construire une mosquée dans l’entrepôt, et nomme lui-même l’Imam. La tradition voulant que ce dernier soit choisi par les fidèles, certains ouvriers contestent, voient dans l’acte du patron un abus de pouvoir, une tentative de contrôle sur leur liberté. D’autres lui sont au contraire reconnaissants, confiants dans la sincérité de sa foi. Lorsque les uns se révoltent de leur licenciement à la fin, les autres restent dociles grâce aux quelques euros dont Mao les augmente. Le spectateur reste quant à lui incertain des intentions de Mao : quand il demande à l’Imam de convertir ceux qui ne le sont pas encore, il apparaît bien que la mosquée lui permet d’acheter la paix sociale. Mais lorsqu’il va s’y recueillir seul la nuit, sa croyance peut sembler authentique. Participent de cette ambiguïté du personnage, et partant du flottement du sens du film, le jeu insaisissable de Rabah Ameur Zaimeche, le fait que le cinéaste interprête le rôle du patron et qu’il se reconnaisse, en tant que cinéaste, lui aussi chef d’entreprise.



Dans Wesh Wesh et Bled Number One, le regard du personnage interprété par Rabah restait cernable, il était celui de qui revient après des années d’absence, en banlieue parisienne ou en Algérie, et constate avec lucidité une réalité dont il est devenu étranger. La place de Mao (nomination à la croisée de Mahomet et Mao Zedong) est plus ambiguë, il est à la fois au milieu de ceux dont il gère le travail, et en retrait parce qu’il les observe, dirige et manipule. Il est indéniablement un patron égoïste qui, sans prendre la peine d’argumenter, refuse toute augmentation , de payer les heures supplémentaires et, in fine licencie abruptement pour raisons économiques. De temps à autres cependant, Mao semble laisser place à Rabah, lorsque l’on sent dans son regard une bienveillance envers ses personnages, qu’il rit sincèrement et spontanément avec eux. Travaillant dans le sens de l’ambiguïté, le cinéaste incite le spectateur à trouver ses propres réponses en même temps qu’il refuse de juger ses personnages, de s’arroger ce droit.



L’humanité de ce regard n’est pas sans rappeler Renoir, présent à plus d’un titre dans le cinéma de Rabah Ameur Zaïmeche. L’univers de Dernier Maquis est exclusivement masculin, aucune femme n’y apparaît ni n’est évoquée. Comme dans Wesh Wesh avec les habitants de la Cité des Bosquets, dans Bled Number One avec ceux du village algérien, Rabah Ameur Zaïmeche travaille à rendre compte de la noblesse des personnages-acteurs, ici mécaniciens et manœuvres. On est ému de la maladresse sincère de Titi qui, croyant que la circoncision est nécessaire pour se convertir, se fait lui-même l’opération, des paroles pleines de bon sens du chef de village demandant une augmentation, de la complicité joyeuse entre les mécaniciens. Si Mao est du côté de la manipulation, l’attitude des travailleurs est des plus saines, elle les rend attachants et permet d’être d’autant plus sensible aux problèmes que leur histoire soulève. Pour pesants que soient ces derniers, on rit aussi fréquemment, ce qui participe de la richesse du rythme et du sens du film, de la proximité avec les personnages. La naïveté dont ils font parfois preuve fait d’eux à la fois des victimes de qui en sait davantage et des êtres des plus nobles. Le rire s’accompagne d’une fascination émue pour la pureté, le problème de l’abus de pouvoir du patron est posé en même temps qu’est révélée la grandeur des personnes. Comme dans Bled Number One et Wesh Wesh, Rabah mêle ici des comédiens (Abel Jafri, Christian Milia-Darmezin), qui interprêtent les mécaniciens, à des non professionnels, les manœuvres qui travaillent réellement dans l’entrepôt et qu’il a longtemps observés, l’Imam, le Muezzin, vrais Imam et Muezzin. Deux rapports au personnage et au jeu, auxquels s’ajoute la présence du cinéaste-acteur dont il a été question, confrontation de trois réalités hétérogènes qui participe de la richesse du film, de la gamme de jeu possible entre le personnage, l’acteur et la personne.

Le respect pour les êtres filmés se double d’un respect envers le spectateur, en qui Rabah a confiance. De même qu’il laisse une grande place aux êtres à l’écran, Dernier Maquis nous offre un vaste espace à investir. Les plans durent, le cinéaste n’a pas peur d’ennuyer en même temps qu’il a confiance en la richesse de ce qu’il filme. Pas de peur non plus de mettre à mal nos habitudes, lorsque les visages sont coupés, que la caméra se meut entre des fragments de corps, que le contre champ tarde à venir. Le travail vers davantage d’ambiguïté, l’absence d’un trop plein de paroles ou de plans explicatifs nous invite à aller à la rencontre de ce qui se passe, nous intègre pleinement dans cet univers à la fois accessible, évident, et dont le sens demeure flottant.



C’est enfin sa confiance en la réalité et en la possibilité du cinéma de rendre compte de sa richesse que Rabah rend sensible et transmet. Le cinéma capable de jouer avec la picturalité d’un décor, magnifier les personnes, faire danser des tracto pelles et des palettes. Lors d’une très rare et très belle sortie de l’entrepôt, sur les berges d’une rivière, de saisir le vol improbable d’un héron dans les arbres, capter la lumière des feuilles, un avion qui traverse opportunément le plan. Dans Wesh Wesh, Kamel s’éloignait de la vie de la Cité pour aller pécher au bord d’un lac, dans Bled Number One il s’isolait, au bord de l’eau encore, écouter Rudolphe Berger jouer de la guitare. Les films de Rabah Ameur Zaimeche sont troués d’échappées, lors desquelles on a le temps de prendre acte de ce qui se joue dans l’entrepôt, la Cité ou le village algérien, d’assimiler en respirant ce que les films soulèvent de grave. Rabah Ameur Zaimeche se sert ainsi autant du cinéma pour parler de problèmes qui lui tiennent à cœur et qu’il est urgent de soulever, qu’il se sert de ces derniers pour faire du cinéma. Dans un cas comme dans l’autre, avec un grand brio.
Marion Pasquier






"Le titre du film est énigmatique pour le quidam qui ignore aussi bien la langue arabe que l’histoire contemporaine de l’Algérie (pays où est né le réalisateur). ‘’Adhen’’ veut dire appel à la prière, ‘’dernier maquis’’ fait référence aux intégristes religieux, (on pense évidement à l’Algérie). Quel est le rapport entre ces mots d’un vocabulaire étranger à la France d’aujourd’hui et le film qui se déroule dans la banlieue du nord de Paris ? Notre quidam cité précédemment ne verra évidemment pas de relations. Il y en a pourtant ! Car les populations étrangères en France transportent avec elles leurs us et coutumes que des petits malins vont manipuler pour mieux exploiter les ouvriers issus de ces populations. Pour montrer leur fragilité dans une société qui ignore presque tout de leur culture, le réalisateur filme des ouvriers qui partagent la même foi religieuse. Leur pratique religieuse (zigounette mutilée, prière collective grossière à mille lieux des psalmodies ensorcelantes des versets coraniques) est caricaturée à dessein par le réalisateur pour mieux montrer ensuite la ‘’suprématie’’ du réel quand le conflit éclate entre le patron et ses ouvriers. Eh oui l’islam, comme toutes les religions, est utilisé comme une arme politique dans la lutte de classes niée par les zélateurs qui ‘’ordonnent’’ aux fidèles de se fondre, (pour assurer la paix sociale), dans la fameuse Oumma, la communauté des croyants. ‘’Adhen’’ ou ‘’dernier maquis’’ est un film qui s’attaque avec un certain doigté à un problème complexe, le rapport entre le politique et le religieux. On n’est pas gêné par la simplicité du dispositif de la narration car tous les plans ont une densité qui ‘’révèle’’ le jeu et les enjeux de sujets (rapports entre le patron et ses employés, entre l’imam et ses ‘’ouailles’’, entre les ouvriers ‘’noirs’’ et ‘’arabes’’ etc). Le réalisateur porte sur ses personnages un regard complice agrémenté d’un certain humour, et la dose de poésie des images et des sons compensent les ‘’non-dits’’ du film. Dans son regard sur le monde qu’il filme, on y lit la pensée du réalisateur sur la situation actuelle du pays qui l’a vu naître et auquel il a consacré le magnifique ‘’Bled Number One’’. Avec ‘’Dernier maquis’’, Rabah Ameur revient à ‘’sa’’ banlieue qu’il avait déjà mis en scène dans ‘’Wech Wech’’, film d’un inconnu et que l’ACID a eu le flair de soutenir fermement. On connaît la suite…."

Ali Akika, cinéaste, membre de l'ACID


Mine de rien, les ondes souterraines de Dernier maquis font retour avec insistance bien au delà du temps de sa projection.
Etrange objet, qui résiste aux analyses univoques, tant programmatique que formelle, qui s’installe comme une comédie ouvrière et vire au drame. Les Ressources Humaines chez les Lumpen d’un côté, l’usine à la campagne (comme on dit la ville à la campagne) de l’autre ; la place de l’islam dans le monde du travail et les luttes ouvrières.
Fiction certes, documentaire à l’évidence, comme aime à les combiner Rabah Ameur-Zaïmèche : l’interpénétration de ces deux registres met le jeu social en perspective et préserve la complexité des personnages en désamorçant toute posture doctrinale.

Dernier maquis brosse le portrait d’un groupe traversé par l’humanité, la politique, la religion et l’absence des femmes - cette dernière question réglée, si l’on peut dire, dès la première partie du film, signifiée/sublimée dans le geste fou d’une castration symbolique prétendument conforme aux exigences de la loi religieuse ; mais on sait bien que la place des femmes, dans le contexte de l’immigration, renvoie nécessairement aux difficultés des conditions de vie, entre autres à la question du regroupement familial.
Quelque part entre les environs d’une grande ville et la verte campagne française, ça usine, pointe, frappe et ferraille dans l’espace et la matière d’une zone industrielle à l'agonie.
Hautement métaphorique, avec une grande simplicité, le film fonctionne comme les palettes (uniment rouges) fabriquées par l’entreprise et dont l’accumulation vertigineuse sert de décor au film. Pas vraiment une production sophistiquée, plutôt des objets transitionnels sans lesquels la marchandise ne circule pas. Activateur d’un imaginaire et d’une réflexion dont le spectateur doit régler les registres, le film construit sa propre tension sur cet écart entre le récit et l’artifice du lieu. Plus que d’un espace théâtral, c’est d’installation, au sens des arts plastiques, qu’il s’agit. C’est à dire un espace dans lequel on est invité à déambuler afin de produire sa propre fiction. Ici, la force expressive des empilements de palettes résonne comme l’accumulation dérisoire de marchandises fantômes, l’ordre précaire, la clôture, l’urbanisme de périphérie et le flamboiement potentiel des révoltes.
Le titre, Dernier maquis, donne à l’évidence le ton politique. Dans l’entreprise du patron Mao, la place des immigrés dans la hiérarchie du travail se rabat sur l’historicité de l’immigration ; les travailleurs africains formant la dernière vague, la plus précaire, la plus fragile, la plus à distance de l’observation. On n’en sait pas plus sur chacun des personnages que ce qui se joue dans leurs interactions ou ce qui s’entraperçoit dans le sillage de la caméra.
"La manière énergique de filmer peut rappeler celle du cinéma documentaire, mais c'est vrai qu'on n'est pas pour autant dans l'actualité. C'est un autre rapport au temps, où il ne s'agit pas forcément de filmer une réalité immédiate, de manière réaliste. Il s'agit d'une proposition, juste présenter des choses, non pas porter de jugement », explique Rabah Hameur-Zaïmèche.

A la ligne claire du récit, s’oppose l’opacité de Mao dont la démagogie ambiguë va être démasquée en même temps que la vraie fonction de la religion, seul lien qui les unit tous, et au sujet de laquelle le film, « laïque » selon le réalisateur, distingue opportunément les croyants des clercs. Interprété par le réalisateur lui même, Mao fait juste tourner son entreprise et le film autour de lui. Ce n’est que dans une superbe scène d’échappée, que quelque chose de sa vérité intime va se faire jour. Dans la scène du ragondin, au milieu de la nature immuable de canaux verdoyants, jungle édénique et accueillante aux animaux venus d’ailleurs, indifférente aux instabilités des points de vue, ce qui se conte c’est l’éternelle migration des hommes, quelque chose comme le sel de la terre.
Cati Couteau, membre de l’ACID,







Portrait de Rabah Ameur-Zaïmeche




Il le dit lui-même : “Dans ma cité, j’étais le fils du patron.” Rabah Ameur Zaïmeche est issu d’une famille algérienne au passé aisé, qui était propriétaire de forêts domaniales. Son père a émigré en France en 1960 et a monté son entreprise de transport, passant en quelques années de un à six cents camions. Rabah a donc grandi entre deux mondes, privilégié parmi les populations défavorisées des cités. A la Sorbonne, il étudie la psycho et la socio, mais “pas pour devenir un agent économique, pour tenter de devenir un jour, je l’espère, un homme libre”.



Le cinéma, il ne l’a pas appris sur les bancs de la fac, dans les salles du Quartier latin ou dans les ateliers de la Femis, mais d’abord par une cinéphilie autodidacte nourrie par la télévision des années 70, avec Le Ciné-Club de Claude-Jean Philippe ou le Cinéma de minuit de Patrick Brion (qui à l’époque passait à 22 h 30). Un processus similaire à celui de son collègue Malik Chibane et qui fait prendre conscience de l’importance de ces deux émissions dans l’apprentissage cinéphile de toute une génération. Grâce à Philippe et Brion, Rabah découvre le western, ou des classiques comme Casque d’or, qui montre les cailleras de banlieue de l’époque, les Apaches.



L’envie de faire des films le tenaille rapidement, mais c’est plus tard, à la fin de ses études, qu’il passe à l’acte. A l’origine, un travail sociologique sur la banlieue, qu’il transforme en scénario écrit avec un copain et voisin d’amphi. Comme aucun producteur ne se décide à donner le feu vert à ces inconnus, Rabah décide de tourner le film tout seul. Ce sera l’aventure Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ?, l’un des meilleurs films sur les quartiers, œuvre d’une grande finesse sur un matériau pourtant pas facile et aisément sujet à la caricature. Alors que Rabah Ameur Zaïmeche n’a jamais été assistant, n’a tourné aucun court métrage, il s’inscrit d’emblée dans le sillage de Renoir ou Ford, démontrant patience de regard, goût de la flânerie narrative, sens de la complexité humaine, amplitude de la vision. En 2006, Bled Number One, sélectionné à Cannes (Un certain regard), confirme que Wesh wesh… n’était pas qu’un feu de paille, un coup de chance. Racontant les difficultés du retour au bled d’un Beur parisien, prenant résolument le parti des femmes, Rabah Ameur Zaïmeche montre une fois de plus ses qualités de cinéaste, ses influences westerniennes, la générosité et la précision de son regard, une certaine nonchalance laconique, autant de caractéristiques qui tranchent avec le tout-venant du cinéma.

Serge Kaganski
12 décembre 2007

Bled Number One








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