Gomorra

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GOMORRA
de Matteo Garrone



Avec Gomorra, son roman-enquête paru en 2006 sur la mafia napolitaine, le journaliste italien Roberto Saviano, 28 ans, qui collabore à la Repubblica et L’Espresso, est subitement devenu un homme riche (un million d’exemplaires écoulés en Italie, une trentaine de traductions) et une proie traquée. La Camorra, furieuse du tapage publicitaire autour du livre, l’a directement menacé de mort et Saviano vit désormais sous bonne protection policière, obligé de changer continuellement de lieu de résidence. Son livre brosse un tableau général, bien documenté et nourri de nombreux exemples, du phénomène tentaculaire du système d’économie parallèle napolitain, prenant son essor depuis les activités locales des clans de la Campanie pour s’étendre sur toute l’Europe et désormais jusqu’en Chine. Pour Saviano, l’une des clefs de compréhension de la Camorra, c’est précisément sa capacité à se globaliser, à faire des joint-ventures avec d’autres pègres (européennes ou africaines). Dans un entretien au site CafeBabel, il déclarait notamment : «La première ville que la mafia italienne a donné en autogestion complète à un clan étranger, a été Castel Volturno [en Campanie], concédée aux "Rapaces", un clan mafieux de Lagos et Benin City au Nigeria.»

Tension. Sans doute que le succès du livre appelait naturellement une adaptation au cinéma, mais celle-ci n’en demeure pas moins paradoxale puisqu’elle reverse dans le domaine de la fiction des éléments à charge collectés dans la réalité. Dépouillant, par l’écriture, la pègre de son aura plus ou moins grandiloquente, soulignant aussi à quel point les chefs de clans sont eux-mêmes fascinés par des modèles cinématographiques (Scarface de De Palma reste une matrice comportementale absolue), Gomorra, le film, produit du coup un effet curieux. Il galvanise par des ressorts propres au cinéma de genre, tout en s’efforçant de synthétiser en cinq récits entrecroisés l’essentiel du discours du livre. Cette tension entre l’imagerie, c’est-à-dire l’éclat de la violence graphique, et la nécessité de la dénonciation avec ce que cela suppose de recul réfrigéré, traverse le film et ne se résorbe jamais complètement, même si le cinéaste Matteo Garrone prend bien soin de ne pas signer, sous couvert d’indignation civique, un énième clip de recrutement pour rejoindre les rangs de lacanaille.

Tous les personnages sont d’ailleurs dûment éjectés ou broyés par un système nourricier et vampire, engraissant ses membres pour mieux les vider au terme d’un cycle morbide. Cette mécanique de la corruption des valeurs, comme de la destruction des hommes qui en sont les agents aliénés, touche aussi bien le vieillissant Don Ciro - le distributeur des bonnes œuvres de la mafia prodiguant au compte-gouttes son obole pourrie -, que Toto, le gamin de 13 ans, que les circonstances conduiront à commettre un acte ignoble. De Naples, le port, la baie, la ville et ses ruelles de pavés noirs, le cinéaste ne montre rien, préférant s’en tenir à la périphérie populeuse, notamment Scampia et ses incroyables barres d’immeubles communiquant entre elles par des passerelles de bétons, véritables supermarchés à ciel ouvert de la drogue où, selon Saviano, un clan peut gagner jusqu’à 500 000 euros par jour.

Toxiques. Mais ces manœuvres de quartier nous font entrer bientôt dans deux autres cercles économiques plus larges, gangrenant des secteurs légaux. L’histoire du tailleur Pasquale permet de relayer les chapitres les plus virulents du livre concernant les liens entre les grandes maisons de coutures italiennes et les centaines de sous-traitants financés par l’argent sale de la Camorra. La prise de conscience du jeune diplômé Roberto pistonné au service d’un homme d’affaires véreux, décrit le désastre écologique provoqué par la mafia qui a fait main basse sur le secteur du recyclage des déchets toxiques. La campagne du sud de l’Italie est transformée par leurs bons soins en dépotoir de tous les poisons cancérigènes en provenance de l’Union européenne. Plein de personnages bien dessinés et de situations habiles, le film manque néanmoins de ce souffle qui lui aurait, par exemple, permis de s’élever à un panorama grandiose de la cupidité universelle, associant les cercles viciés de la pègre et l’âpreté au gain du capitalisme déchaîné.
Didier Péron








DOSSIER DE PRESSE :



"...Les parrains n'ont eu aucun scrupule à enfouir des déchets empoisonnés dans leurs propres villages, à laisser pourrir les terres qui jouxtent leurs propres villas ou domaines. La vie d'un parrain est courte et le règne d'un clan, menacé par les règlements de compte, les arrestations et la prison à perpétuité, ne peut durer bien longtemps. Saturer un territoire de déchets toxiques, entourer ses villages de collines d'ordures n'est un problème que si l'on envisage le pouvoir comme une responsabilité sociale à long terme. Le temps des affaires ne connaît, lui, que le profit à court terme et aucun frein. L'essentiel du trafic ne connaît qu'une seule direction : nord-sud. De puis la fin des années quatre-vingt-dix, dix-huit mille tonnes de déchets provenant de Brescia ont été enfouies entre Naples et Caserte et en quatre ans, un million de tonnes à Santa Maria Capua Vetere. Les déchets traités au nord, dans les usines de Milan, de Pavie et de Pise, sont tous expédiés en Campanie..."
Roberto Saviano (Gomorra)

Certains iront jusqu’à parler d’un sacrifice. Pour avoir réalisé un travail remarquable, Robert Saviano, 28 ans, a été condamné à mort. Journaliste free-lance, très actif dans la presse italienne et sur internet, il a collaboré par le passé à des journaux comme Il Corriere del Mezzogiorno ou Il Mattino. Il travaille aujourd’hui à l’hebdomadaire L’Espresso. Jamais, jusqu’alors, il ne s’était essayé à l’écriture d’un livre. C’est, depuis l’an passé, chose faite. Avec pour résultat l'un des plus gros succès de librairie de ces dernières décennies en Italie: plus d’un million d'exemplaires vendus à ce jour. Un ouvrage devenu à son tour un best-seller en Espagne (150 000) et en Allemagne (200 000).

La "faute" de Roberto Saviano s’intitule Gomorra. Dans l’empire de la camorra. L’ouvrage relate l’action de la mafia napolitaine au cours de ces dernières décennies, dont il a été en partie témoin en enquêtant sur le terrain. Ce récit est fait sans autocensure, c’est-à-dire en donnant les noms de tous les parrains. Tous les noms. Une avalanche de détails, repris en boucle dans les médias, qui a ulcéré un Système habitué à l’omerta. L’auteur s’est attelé à une description minutieuse de ce monde. Tout y est dit, dans un style à fleur de peau. Ce cri "affaiblit" certes un livre tenant plus de la dénonciation d’un Napolitain ayant vu son propre père être victime de la camorra que du récit neutre d’un journaliste. L’ouvrage n’en reste pas moins exceptionnel, comme le montre l’ensemble des réactions en Italie. La mobilisation pour soutenir R. Saviano, après sa condamnation à mort par la camorra, a cependant mis un certain temps à s’opérer. Il aura fallu attendre l’intervention de grands intellectuels italiens, à commencer par celle d’Umberto Eco: "Après le cas Rushdie et celui de Robert Redeker, il semble qu'on ne puisse plus exprimer ses idées. Et si, pour Rushdie et Redeker, l'assassin pouvait venir de n'importe où, on sait qui menace Saviano. Il ne faut surtout pas l'abandonner", a déclaré l’écrivain. Les politiques ont suivi cet appel. Le journaliste, qui réside aujourd’hui à Rome, est désormais protégé, comme le sont d’ordinaire les juges anti-mafia. Tout en sachant que "la camorra a une mémoire d’éléphant et une patience illimitée
Antoine Aubert (Non Fiction)

POUR ALLER PLUS LOIN :

Biutiful Cauntri
un documentaire de E.Calabria, A.D'Ambrosio, P.Ruggiero
(en novembre au Renoir pour le mois du DOC.)



Des éleveurs qui voient mourir leurs brebis.
Des agriculteurs qui cultivent des terres de plus en plus polluées.
1200 décharges abusives de déchets toxiques.
Nous sommes en Italie, dans la région de Naples. En fond, une mafia d'entrepreneurs qui utilise camions et bennes métalliques à la place de revolvers...










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