Carte Blanche à
Jean Pierre THORN

Vendredi 5 septembre 2008 en sa présence.


"Allez Yalla!" suivi de "Le Dos au Mur"



Jean-Pierre Thorn semble avoir un rapport singulier avec le temps. En 1968, il se jette d'abord seul, avec une petite caméra Pathé-Webo et un magnétophone non synchrone, au coeur de la grève des jeunes ouvriers de Renault-Flins, avant d'être rejoint et épaulé par des techniciens talentueux (Bruno Muel, Antoine Bonfanti, Yann Le Masson...). Grâce à Jean-Luc Godard, il tire, en mai 1969, quatre copies d' Oser lutter, oser vaincre et il en sauve une de ses camarades maoïstes de la Cause du peuple qui, lors d'un tribunal "populaire", qualifient le film de «liquidateur». Ce n'est qu'en 1978 qu' Oser lutter, oser vaincre circule réellement, au sein d'une programmation sur 1968 établie par l'auteur. Un an plus tard, Jean-Pierre Thorn retire son film des réseaux de distribution. Ce retrait a duré vingt ans.
Entre-temps, entre 1969 et 1978, le cinéaste s'est fait ouvrier, "établi", aux usines Alsthom de Saint-Ouen. Quelques mois après son départ de l'usine, en octobre 1979, la grève avec occupation, tant désirée, éclate enfin. Ses camarades le sollicitent, Jean-Pierre Thorn revient avec sa caméra et ses amis cinéastes (dont, encore une fois, Bruno Muel), il en ressort avec Le dos au mur (1980), sans doute son chef-d'oeuvre, l'un des meilleurs films en tout cas sur une grève ouvrière. Ce fut vraisemblablement à ce moment, à priori, que Jean-Pierre Thorn paraît avoir été le plus "synchrone".
Car sa première fiction, Je t'ai dans la peau narrant la vie d'une syndicaliste communiste, ancienne bonne soeur, qui se suicide après son exclusion et «l'arrivée de la gauche au pouvoir» (en 1981), ne pus sortir qu'en 1990, dans un contexte politique radicalement différent (et complètement navrant). Cela aussi dû grandement contribuer à l'échec public du film. Après Génération Hip Hop ou Le Mouv des Z.U.P. (1995) et Faire Kifer les anges (1996), on comprend mieux la profonde nostalgie qui traverse On n'est pas des marques de vélo (2002), centré sur la personnalité et le destin de Bouda, danseur de Hip Hop dont la carrière fut brisée par l'application de la double et triple peine. En fait, à travers l'oeuvre de Jean-Pierre Thorn, entre la rage et l'amertume, perce une nostalgie violente ou secrète qui reflète des moments perdus et inachevés : la grève qu'on aurait pu gagner si..., la carrière qu'il aurait pu faire si... Sous ce discours implicite se cachent sans doute les propres fêlures du réalisateur : la Révolution ou les grèves qu'on aurait dû gagner, les autres films que j'aurais dû faire... Mais c'est justement dans cette nostalgie et dans cette amertume, dans cet entre-temps, que s'est construite l'oeuvre du cinéaste.


Les titres-mêmes de ses trois principaux documentaires renvoient d'ailleurs aux évolutions de notre époque : d'une attitude de conquête de la classe ouvrière (ou de ceux qui veulent être ses héraults) à une attitude défensive, d'une attitude de défense de cette classe ouvrière autrefois fantasmée et aujourd'hui si malmenée, à une tentative de survie des jeunes des milieux populaires. A l'intérieur-même de son oeuvre, Jean-Pierre Thorn, lui-même monteur, excelle dans certains de ses films, par les temps qu'il instaure. Oser lutter, oser vaincre, dont le montage est pétri des théories d'Eisentein, est ainsi, au-delà même du pamphlet (très) dogmatique, une superbe fresque épique. Le dos au mur, inspiré par les conceptions du cinéma direct exprimées en particulier par Barbara Kopple dans son chef d'oeuvre Harlan County USA , instaure, lui, un autre rapport au temps. Point ici de récit historique débouchant sur une incantation révolutionnaire et une prophétie rageuse, mais un réel travail sur le temps de la grève et de ses acteurs (qui débouche sur un constat amer). Entre-temps Jean-Pierre Thorn a effectivement connu le temps du travail en usine, et si sa sincérité reste toujours absolue, il a grandement gagné en qualité d'écoute, de dialogue et d'observation - gages indispensables du travail documentaire. (Sous cet angle la première fiction de Jean-Pierre Thorn semble une régression, tant l'irruption du réel et la dilatation du temps ne paraissent pas avoir de place sous la juxtaposition des chromos et de la reconstitution historique).

Jean-Pierre Thorn se révèle également comme cinéaste dans son rapport à l'espace. Tout l'espace d'Oser lutter, oser vaincre se tient dans l'enceinte de l'usine et son rapport avec l'extérieur, les deux mondes étant séparés par des grilles. On retrouve une géographie identique dans Le dos au mur - ainsi que des scènes similaires (la montée des escaliers de l'usine par les ouvriers en grève). Entre les deux espaces-mondes, entre l'usine réinvestie par les ouvriers et l'extérieur menaçant où pointent les jaunes et les CRS, percent toujours la nostalgie d'une contre-attaque quasi-militarisée, la fiction et la tentation d'une organisation de la violence, d'une reconquête du monde au delà des barrières physiques et symboliques. Le monde des usines et des ateliers, c'est celui des pères des enfants du hip-hop qui, eux, ont pour horizon les barres HLM, les grilles et les passerelles des RER, les toits et les caves des grands ensembles. Quand les jeunes danseurs d'On n'est pas des marques de vélo exécutent leur chorégraphie, c'est enfermés entre quatre murs, bondissant et rebondissant dans un espace clos. Toute l'oeuvre de Jean-Pierre Thorn tend ainsi à reconquérir et élargir les espaces, à casser les murs, à remonter et rattraper le temps perdu. D'où, généralement, cet immense sentiment d'amertume.

En fait, si certains films de Jean-Pierre Thorn sont sortis à contretemps, le cinéaste et le citoyen ont souvent été en symbiose avec leur époque, parfois en avance sur celle-ci. Au début des années 80, alors qu'il est permanent syndical de la section audiovisuelle de la CFDT (avant d'être écarté de la confédération), il est un des premiers à s'intéresser à la création vidéo en relation avec les comités d'entreprise. Il organise également, en réussissant à faire collaborer la CGT et la CFDT sur Nantes et Saint-Nazaire, un festival de vidéo des organisations ouvrières. Co-fondateur de l'ACID (Association pour un cinéma indépendant), Jean-Pierre Thorn a énormément milité l'été 2003, avec rigueur, pour la défense du régime des intermittents du spectacle, au détriment de la sortie de son dernier documentaire. Jean-Pierre Thorn est ainsi de ceux qui prouvent, par leurs actes et par leurs films, même s'il n'aime guère l'expression, que les mots "cinéastes" et"militants" ne sont parfois pas incompatibles. Au contraire.

Tangui Perron, chargé de mission Patrimoine et cinéma en Seine-Saint-Denis


Allez Yallah!



L’association des caravanières a pour ambitieuse mission de faire connaître leurs droits aux femmes, sur chaque rive de la Méditerranée. Après avoir croisé leur route, Jean-Pierre Thorn décide de filmer leur combat au quotidien. Le réalisateur rend, avec une mise en scène pertinente, un bel hommage à ces humanistes de l’ombre.



Les caravanières viennent d’Algérie, du Maroc, de France. Elles ont décidé, par conviction et grâce à leurs expériences, de promouvoir la cause des femmes en leur enseignant leurs droits. Ce serait évidemment se voiler la face que de prétendre qu’une telle éducation est superflue, alors qu’en France meurent chaque année près de 400 victimes de violences conjugales (selon Le droit de savoir, 1999, qui pointait également le chiffre de 2 millions de femmes battues en France). Zorah Sadik et les autres, les « caravanières », ont décidé de se battre en douceur, de promouvoir la discussion et l’éducation. Jean-Pierre Thorn, impressionné, a décidé quant à lui d’adopter une forme des plus discrètes pour rendre hommage à ce combat. Il filme, simplement, les caravanières en action, au quotidien, faisant du porte-à-porte, organisant des réunions - débats... Il n’intervient que fort peu, laissant s’exprimer ses sujets : elles ont tant à dire.


S’il s’exprime peu de façon directe, le réalisateur est beaucoup présent par le biais du montage. Le film ne cesse jamais de mettre en parallèle deux caravanes, l’une se situant au Maroc, l’autre en France, dans la région de Lyon. Le constat, du côté français, est accablant. Entre un pays perçu comme encore passablement arriéré socialement et le « pays des droits de l’homme », le contraste penche souvent en défaveur de la France. C’est en France que l’on rencontre les plus extrémistes des femmes « anti-féministes », imprégnées qu’elles sont d’une culture terriblement machiste et patriarcale. Face à de tels comportements, les caravanières se gardent bien de les prendre de haut : le combat pour les droits des femmes a déjà vu suffisamment de donneurs de leçons... Comme toujours, elles répondent par l’écoute et le dialogue. Le réalisateur n’exprime pas non plus directement sa désapprobation, et donne leur place à ces points de vue comme aux autres. Reste au spectateur à se forger une opinion, qui ne fera, on l’espère, pas de doute.


Long et lent, le film de Jean-Pierre Thorn est une véritable déclaration, sinon d’amour, au moins de respect vis-à-vis du combat des caravanières. Il ne faut certes pas moins des deux heures du film pour rendre un digne hommage à ces femmes (et à ces quelques hommes) combattantes. Le périple « éducatif » des caravanières n’est aucunement superflu, surtout pas lorsque l’on sait qu’aujourd’hui encore, des atrocités telles que l’excision peuvent rester inconnues à de nombreuses personnes, normalement informées. A la vision de Allez, Yallah !, on se surprend, sentiment étrange et peu commun, à croire de nouveau que les choses peuvent changer, tant le combat des caravanières est mené avec foi et courage. Faire et distribuer ce film est un hommage à peine suffisant.

Vincent Avenel








Rencontre avec Zohra Sadik, l’une des caravanières;

Tout d’abord, je voudrais que vous me parliez de la façon dont s’est monté le film. Comment Jean-Pierre Thorn, le réalisateur, vous a-t-il contactée ?
Le réalisateur était présent lors de la caravane 2004 qui a été organisée ici, à Lyon, par l’AFCI - l’Association Femmes Contre les Intégrismes - c’est comme ça qu’on a fait la connaissance de Jean-Pierre Thorn. Il a filmé, nous a suivies, pendant tout le déroulement de la caravane de Lyon. C’est comme ça qu’il a eu l’idée de suivre cette caravane au Maroc. Et du coup, comme on organise, au Maroc, plusieurs caravanes au niveau local ou bien national, il a eu l’idée de parler de ce combat des femmes à partir d’un film, pour justement transmettre toutes les valeurs, tous les principes, toute la force et toute la volonté que nous avons pour arriver à cette société d’égalité.

Jean-Pierre Thorn est quelqu’un de très militant, il a beaucoup de valeurs. De votre point de vue, que voulez-vous faire passer avec ce film ? Est-ce que c’est un témoignage de ce que vous avez accompli, ou est-ce que c’est un pas sur votre route vers le futur ?

En fait, ça reflète un peu nos convictions, les principes de notre projet, parce qu’on va dans les zones les plus reculées pour informer les femmes, les hommes et les jeunes, pour avoir des contacts, pour les mobiliser, de façon à ce qu’ils soient aussi impliqués dans ce combat. Donc, ce film, ça permet un petit peu de montrer, mais en même temps de mobiliser. C’est un moyen de voir qu’il y a des femmes qui militent, qui ont de la volonté pour que ça change. Ça reflète un petit peu cet espoir-là, en fait. Nous avons un espoir : c’est vrai, nous avons une situation qui est un petit peu compliquée, mais on a la volonté pour pouvoir justement dépasser tous ces obstacles, arriver à ce que les femmes et les hommes - parce que le combat est un combat des femmes et des hommes - aient cette volonté-là. On en parle à travers un film, donc ça permet de se poser des questions. Il y a des femmes qui se battent pour les droits, pour l’égalité, contre les intégrismes, donc ça permet aussi aux autres d’être impliqués dans ce combat.



On peut espérer que « Allez, Yallah ! » aura un succès autre que le succès d’estime. Avez-vous d’autres projets médiatiques en parallèle ?
En fait de projets médiatiques, nous avons des caravanes qu’on organise pour cette année-là, et on va organiser une autre caravane dans la zone du nord du Maroc, vers la ville de Tanger. C’est une activité qu’on organise chaque année. En même temps, l’objectif, ce n’est pas seulement d’arriver dans ces villages pendant 10 jours ou bien une semaine, parce que c’est tout un travail qui se fait pendant les caravanes. Il y a des questionnaires pour connaître un petit peu la situation économique et sociale, les conditions de vie de ces personnes, au niveau de la santé : ça nous permet d’avoir des données concrètes qui pourront servir à mener notre combat, de plaider vis-à-vis de l’État, vis-à-vis des responsables, pour que ça change. C’est en parallèle avec tout le travail qui se fait pour la sensibilisation, pour l’information sur tout ce qui concerne le droit, que ce soit en faveur des hommes, des femmes ou bien des jeunes. Et en même temps, on assure aussi le suivi de ces caravanes : je tiens à préciser que ce n’est pas une activité occasionnelle, mais c’est une activité parmi d’autres de l’association, et juste après la caravane il y a toujours un suivi. Dans toutes les régions où on organise les caravanes il y a des gens de la LDDF, la Ligue Démocratique pour les Droits des Femmes, qui assurent ce suivi-là. Nous avons plusieurs projets : bien sûr, des études, mais nous avons un autre projet, et je crois que c’est très important aussi, car il rejoint un petit peu ce concept de la caravane, qui rejoint un petit peu notre stratégie, c’est l’Ecole de l’Egalité et de la Citoyenneté, qui est sur Casa et qui a pour objectif de donner des formations aux enseignants, dans le cadre associatif, et aussi aux jeunes. L’Ecole de l’Egalité et de la Citoyenneté c’est donc un programme qui est très intéressant : l’histoire des religions, l’histoire de l’esclavagisme, les genres, la communication, l’histoire des combats de femmes, donc tout cela permet un petit peu de former des enseignants. Vous savez que les enseignants ont un rapport direct avec les élèves : ça aura un impact, c’est sûr que ça aura un impact sur les mentalités. Nous avons en fait plusieurs projets dans l’avenir.

Dans le cadre de la caravane qui a été filmée pour « Allez, Yallah ! » : est-ce que ça a changé quelque chose pour vous d’avoir la présence de la caméra, des techniciens à côté ? Est-ce que ça n’a pas créé de l’hostilité, de la méfiance de la part des gens que vous avez rencontrés ?
Du tout, du tout. Les gens étaient confiants. Pourquoi ? Parce que nous, avant d’aller sur place, avant de commencer la caravane, on y va, on travaille avec les gens, on organise des chantiers de propreté, on les encourage à venir à la caravane, donc déjà il y a un contact préalable qui permet de mettre en confiance les gens. Donc en aucun cas on n’a senti une réticence de la part des gens.

Et vous-même ? L’équipe des caravanières ? Ca n’a pas changé votre comportement ?
Quand on est sur place, quand on est dans l’action, on ne voit pas qu’il y a... Je veux dire que quand on est en plein dans l’action, on ne fait pas attention qu’il y a un film. C’était pas vraiment un film : on est là, on travaille. Moi je ne fais pas attention à Jean-Pierre, je ne sais pas ce qu’il a filmé ou pas. Il était avec nous, il nous a suivies, oui, mais en aucun cas on n’avait cette pensée qu’il s’agit d’un film.

Est-ce que vous pensez que vous-mêmes, les caravanières, pourriez essayer de changer les mentalités dans la communauté française ?
Non, je crois qu’il y a beaucoup d’associations qui travaillent sur le terrain. Donc nous, on n’est pas là pour faire le travail des associations, qui font du bon travail. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait une coordination plus large, une discussion sur les objectifs. Parce qu’en fait, chacun travaille pour l’égalité, pour la citoyenneté, contre les intégrismes... Donc, chaque association travaille dans son coin : c’est vrai qu’il y a les mêmes objectifs, donc c’est pour ça qu’il faut un petit peu travailler en coordination, de façon à réaliser ces objectifs. Pas simplement au niveau des associations, mais au niveau des travailleurs sociaux, au niveau du ministère de l’éducation, parce que chacun a une part de responsabilité dans ce combat-là. Donc, du coup, nous en tant que caravanières du Maroc, on peut contribuer, on peut participer : mais en aucun cas on ne peut travailler à la place des associations qui sont sur place. On peut participer à des activités, ils peuvent s’inspirer des expériences des Marocaines, comme nous on s’inspire et on profite aussi de l’expérience des associations françaises. C’est en fait une complémentarité, plus qu’une association venue du Maroc. C’est vrai, quand on parle des maghrébins en général, c’est bien qu’il y ait des associations maghrébines pour les informer, leur dire que ça se passe, qu’il y a une évolution chez nous. Ça permet un petit peu de contribuer à ces actions. Je sais qu’il y a des associations qui travaillent sur le terrain, mais il faut qu’elles se complètent : c’est très très très important.

Ça fait bientôt dix ans que les caravanières existent ...
L’association ? Depuis 1993. Mais on a commencé les caravanes en 2002.

Vous avez quelque chose pour le futur ? Des idées, des espoirs ?
Bien sûr. Quand il y a une activité, il y a toujours une évaluation, une façon de voir, et c’est sûr qu’il y a énormément de choses à faire, mais il y a quand même des choses qui ont été réalisées. Chez nous (NDLR : Zohra Sadik est originaire du Maroc), par exemple, il y a eu tout ce combat de mouvements féminins qui a fait qu’on a un petit peu changé les lois. Il y a eu la réforme du code du statut personnel, il y a le principe de l’égalité qui est maintenant inscrit dans le code de la famille. Nous avons des acquis, mais ce n’est pas suffisant pour nous, que ce soit au niveau des lois ou bien au niveau des mentalités. Ce que nous avons jusqu’à présent au niveau des lois c’est très bien, il faut qu’on agisse aussi sur les mentalités. Donc ça, ça fait partie de notre projet. C’est sûr qu’il y a un espoir tant qu’on travaille sur le terrain, tant qu’on a des convictions, tant qu’on a des objectifs, tant qu’on a des principes, une stratégie, c’est sûr qu’on va y arriver : il y a l’espoir. Sinon... c’est pas la peine de commencer ce combat.

Une dernière remarque, c’est qu’au niveau des politiques aussi, il faut qu’il y ait quand même une politique de façon à ce que les choses changent, que ce soit au niveau de la libre entrée des intégristes, que ce soit au niveau de l’éducation au droit, que ce soit au niveau de l’égalité, il faut qu’il y ait une politique claire, qui ait des objectifs précis. Il faut vraiment qu’il y ait la participation et la contribution des politiques ou, plutôt, une vraie volonté politique pour la société à laquelle on aspire tous, parce qu’on ne peut pas parler de démocratie sans les droits des femmes.

Propos recueillis par Vincent Avenel




Les Caravanières des droits des femmes :


(cliquez sur la photo)



LE DOS AU MUR




Le documentaire de Jean-Pierre Thorn, réalisé en 1979, rend compte de la grève et de l'occupation de l'usine Alsthom de Saint-Ouen. Jean-Pierre Thorn réalise son premier long-métrange en 1968 (Oser lutter, oser vaincre) sur l'occupation des usines Renault à Flins. C'est grâce à Jean-Luc Godard qu'il tire, en mai 1969, 4 copies du film, mais celui-ci ne circulera véritablement qu'en 1978.

Las des discours théoriques et intellectualisants sur le monde ouvrier, Thorn décide de devenir un "établi" et de s'engager véritablement sur le terrain en rejoignant l'Alsthom en 1971 (c'est aussi dans le but de sortir de sa bibliothèque et de découvrir le monde tel qu'il est que Pierre Perrault, autre figure du cinéma direct, a décidé de partir filmer l'Ile-aux-Coudres, au Québec). Il note, à ce propos, la "roublardise" de la direction d'Alsthom qui embauchait des gauchistes pour déstabiliser la CGT. Il restera 7 années à l'Alsthom, jusqu'en 1978. C'est quelque temps après son départ, en octobre 1979, que ses anciens collègues le rappellent pour filmer la grève tant espérée et finalement décidée.



Thorn revient alors avec ses caméras et quelques amis cinéastes (dont Bruno Muel, ancien du Groupe Medvedkine) pour capter l'événement. Il est alors fortement inspiré par les conceptions du cinéma direct et en particulier par Harlan county USA de Barbara Kopple, film sur les grèves minières du Kentucky en juin 1973. Il décide alors de faire un anti-Oser lutter, oser vaincre qu'il juge trop simpliste et trop caricatural (ce film contient des attaques répétées contre le "révisionnisme" du PCF) pour faire un film profondément encré dans le monde ouvrier et ses différentes facettes (voir Le Cinéma par-dessus le mur dans les compléments). Dans Le Dos au mur, Thorn donne d'ailleurs véritablement la parole aux ouvriers. Dès l'ouverture du film, c'est par une gréviste que nous apprenons la situation des salariés d'Alsthom (41h30 de travail par semaine, pas de 13e mois, pas d'augmentation salariale, 4 semaines seulement de congés payés...) et par là, la légitimité de leur action.


Dès les premières images du film nous sommes frappés par le processus de réappropriation de l'espace de travail par les ouvriers grévistes, au détriment de la Direction et des "jaunes" (non grévistes). Les portes sont soudées, les bureaux des "jaunes" sont couverts de peinture de la même couleur, les slogans et les mots d'ordres garnissent la toiture de l'usine. Les ouvriers font également venir femmes et enfants pour faire visiter leur lieu de travail, et ceci avec une certaine fierté. Les premiers moments du film, qui correspondent d'ailleurs aux premiers jours de la grève, se passent dans une atmosphère plutôt bon enfant, pleine d'espoir et d'effervescence. Les plans sont relativement longs, les images "prennent leur temps". Une voix off égrène les jours qui passent. Plus le temps s'écoule et plus le temps paraît s'allonger. Les journées paraissent plus longues. Chaque journée passée est à la fois une victoire et une souffrance supplémentaire. Ce film, place véritablement au coeur de son récit la notion de temporalité de la grève et le sentiment contradictoire qui en découle : chaque ouvrier gréviste est pris entre la fierté de résister et la peur de tout perdre.



Thorn, toujours dans son souci de donner la parole aux ouvriers, interroge trois grévistes non-syndiqués. Ceux-ci expriment leur méfiance vis-à-vis des syndicats (CGT trop proche du PC, CFDT soumise aux querelles de clocher entre gauchistes), leur non-reconnaissance dans un parti politique et leur doute sur l'idéal communiste ("nous n'avons aucun modèle à suivre dans le monde"). 10 ans seulement après 1968, leurs revendications ne se limitent finalement qu'à une volonté matérielle et individualiste à court ou moyen terme, mais la notion d'idéal et d'utopie à plus long terme paraît s'évanouir. Ce passage est intéressant quant à l'évolution future du monde ouvrier, et pose la question de sa politisation et de sa syndicalisation. Question pas tellement éloignée de certaines préoccupations actuelles.

Le temps du film suit le temps de la grève. Cet aspect se ressent d'autant plus par le montage réalisé par Thorn lui-même. Le tournant est le plan-séquence de l'occupation de la Bourse, à Paris (celui-ci nous place véritablement du point de vue des ouvriers, nous ressentons leur peur, leur angoisse puis l'explosion au moment de l'entrée à l'intérieur du temple du capitalisme, le tout sans effet de montage, en laissant le temps se développer ; voir l'analyse de Alain Nahum dans les Compléments). Au fur et à mesure que le film avance, certaines images se répètent (les AG, la présence des CRS), la voix off égrènant les jours de grève est plus présente. La tension est palpable et la famille est maintenant exclue. Les ouvriers paraissent de plus en plus isolés.




Finalement, après plus d'un mois de grève (du 11 octobre au 26 novembre 1979), les revendications sont loins d'être satisfaites et la défaite est amère. Malgré une dernière "Internationale" pleine de rage (sur un rif de guitare destructuré, tel l'hymne américain explosé par Jimmy Hendrix) dans la cour de l'usine, la déception est grande. Celle-ci paraît anticiper la désillusion politique qui se prépare avec l'élection de François Mitterrand en 1981, mais aussi l'évolution du monde ouvrier et de sa représentation.

Le Dos au mur est au final une vraie et belle oeuvre cinématographique, une "épopée ouvrière" entre les joies, les déceptions, les solidarités et les trahisons propres à la lutte. Il rejoint surtout plus que jamais nos préoccupations actuelles, comme en témoigne ce dialogue entre un "jaune" et un "rouge" au portes de l'usine : le premier : "chacun a le droit de revendiquer, mais dans la légalité, sans imposer ce que vous désirez", le second : "Avez-vous déjà obtenu une seule fois satisfaction à l'Alsthom dans la légalité ?".

Stéphane Bedin




10 ans plus tôt :

10 juin 68, la reprise du travail des usines Wonder.




Jean-Luc Godard "La Chinoise"




******************************

Aucun commentaire: