ENTRE LES MURS

Entre Les Murs
de Laurent Cantet






Rencontre avec Laurent Cantet, réalisateur
de "Entre les murs", Palme d'or du festival
de Cannes 2008.









Depuis quinze jours, l'école est finie. Les grilles sont cadenassées, les vitres de la loge blanchies par une poussière poisseuse, le concierge est en congé. En plein été parisien pourri, difficile de deviner qu'il se passe quelque chose d'excitant derrière les portes d'un collège, à la station de métro Pyrénées. De la rue, on ne voit ni n'entend rien. L'établissement moderne, sous les fenêtres d'un quartier populaire, a des allures de camp retranché. Les élèves s'agitent au dernier étage, dans une salle surchauffée où ils vont passer le plus clair de leurs vacances. Ils sont vingt-cinq retenus tout l'été pour participer à une intrigante entreprise cinématographique, la « libre » adaptation, par Laurent Cantet, du livre à succès de François Bégaudeau,
Entre les murs : le quotidien d'un professeur de français dans le nord de Paris. Dans l'étroite classe, François Bégaudeau joue son propre rôle. Les collégiens aussi, épiés par trois caméras qui naviguent entre les rangs pour ne rien laisser filer de leurs gestes, postures et reparties. L'espace est confiné, les projecteurs sont brûlants, tout se négocie, comme au lycée, à deux doigts de la crise. « Entre les murs », nous y sommes pour de bon. Parti pris de Cantet qui prolonge ainsi le travail de Bégaudeau : « Pas un film sur l'école, mais un film dans l'école. »



En introduction de la note qu'il a remise aux producteurs, le réalisateur de Ressources humaines annonce ses intentions, en même temps qu'il pose son ambition : « Si l'école est un monde clos, dont on sait finalement peu de choses, la classe est sa boîte noire... » Une coque à casser, un mystère à percer, un univers à pénétrer, des préjugés à faire tomber. Les siens sont ceux d'un cinéaste engagé, père de deux enfants, peinant à faire le tri dans les récits qui lui reviennent de l'école. « Je me suis souvent senti déphasé, dit-il. Partagé entre la volonté d'en découdre avec l'autorité et le sentiment que ça n'est pas si simple que ça. »



En attendant le financement de son film précédent, Vers le Sud, Laurent Cantet avait écrit la trame d'un récit gravitant autour d'un conseil de discipline et de l'exclusion d'un élève malien. Juste une esquisse. Mais la lecture du roman de François Bégaudeau, à l'automne 2005, lui ouvre les portes d'une classe et renforce son désir d'un film sur l'école. Il veut y renouer avec la veine de Ressources humaines, vision humaniste et réaliste du monde du travail : « Observer un microcosme qui devient la caisse de résonance du monde extérieur, de ses enjeux politiques et sociaux. Dès qu'on parle de l'école, la discussion devient vite idéologique, on regarde peu la réalité du boulot des enfants et des professeurs et de la violence qui s'exerce sur les uns ou sur les autres... »



Bégaudeau et Cantet s'entendent vite sur un dispositif à même de « capter les moments de vérité de la salle de classe ». Après la rentrée 2006, ils commencent une longue période d'immersion dans un collège du 20e arrondissement, font le tour des classes en quête de volontaires pour composer leur propre troupe. Ils donnent rendez-vous aux élèves chaque mercredi, dans une salle du collège désert, pour repérer les personnalités saillantes, les acteurs en puissance, improviser les scènes, inventer des pistes de dialogue... A partir d'une trame scénaristique, dont les adolescents n'auront jamais connaissance, le film s'écrit ainsi, sur le vif, dans l'échange entre le « prof » Bégaudeau et la classe qui, peu à peu, se dessine face à lui. Acteur sans expérience, l'écrivain tient crânement le rôle qu'il se donnait dans son roman : provocateur, un brin narquois, attisant le dialogue, lançant la joute verbale, jouant au plus malin pour pousser les élèves dans leurs re­tranchements. « Franchement, monsieur, vous nous parlez mal ! », lance une élève un jour de mars dernier, toujours en répétition.

De fil en aiguille, il est question de vocabulaire. On cherche des mots compliqués. D'« analphabétique » à pathétique, les idées fusent dans le plus parfait désordre. Bégaudeau garde le cap et le tempo, tente d'orchestrer les répliques tout en les laissant jaillir. Son plan en tête, il enchaîne les situations dont peuvent naître les scènes. Il a le sentiment d'« aller au feu ». Prof et acteur, éclaireur et observateur, « tête de pont de la mise en scène », il s'acquitte de ses tâches avec un certain naturel. « Bill a mangé un succulent hamburger », écrit-il au tableau. Au deuxième rang, Esméralda, survêtement, cheveux tirés, réagit au quart de tour : « M'sieur, pourquoi c'est Bill et pas Rachid ? » La classe s'agite : « Oui, Rachid, ça me fait bien kiffer ! », « Bill, c'est pas un nom de chien ? ». Non sans défendre son point de vue, le pro fesseur finit par s'incliner. Va pour Ra chid ! Esméralda en rajoute : « Quand même, ça vous coûte rien de l'écrire, on dirait que ça vous tue la main ! Ça va pas vous atchoumer de le mettre. » Une caméra discrète enregistre les échanges. Laurent Cantet observe en retrait, intervient avec par cimonie pour recadrer les énergies : « Esméralda, tu dois être plus sérieuse que ça. Là, tu fais du spectacle... » Pétillante et cabotine, aussi douce qu'écorchée vive, petit monstre d'invention et de vitalité difficile à maîtriser, Esméralda incarne tout à fait ce que le cinéaste espère trouver pour son film, des personnalités qui peu à peu s'affirment et se détachent du groupe, rythment la vie d'une classe dont il va tenir la chronique. Des acteurs en herbe qui sauront capter la lumière en toute spontané ité au moment du tournage.

Les ateliers du mercredi sont d'une grande richesse. Il faut avoir l'oeil. Une double nature de comédien affleure chez tous et tout le temps, dans la passivi té la plus démonstrative comme dans l'euphorie du discours et de la tchatche : « Ils sont étonnants, dit Cantet, je me laisse facilement séduire, je suis capable de ne jamais m'ennuyer en les laissant improviser et de réaliser, au bout d'une heure, qu'on dérive toujours sur le même sujet. » Plusieurs fois sollicité pour l'adap tation d'Entre les murs, François Bégaudeau, qui est aussi critique de cinéma, s'est embarqué corps et biens dans le projet de Cantet, parce qu'il apprécie son regard et son approche, sa « loyauté avec le réel ». « Quand nous avons commencé à travailler, raconte l'écrivain, j'ai beaucoup pensé au cinéma de Pialat, à L'Enfance nue en particulier. La manière dont chaque début de scène relance les dés. Les personnages peuvent réagir, ils ne sont pas enfermés. Au moment de la saisir, la justesse de la scène est plus importante que la continuité. » Travaillés par ce souci de vérité, l'écrivain et le cinéaste ont longtemps navigué à vue. Ils ont pensé oublier le livre pour s'en remettre aux improvisations des adolescents, mais ils se laissaient facilement déborder et peinaient à insuffler leur part de fiction. Ils ont finalement repris appui sur les scènes du roman pour donner matière à broder.

Quelques semaines plus tard, après une scène de bagarre, Cantet dit à la classe : « Je vous ai trouvés plus mous que d'habitude, peut-être vous êtes-vous habitués à l'humour de François... » « M'sieur, il a pas d'humour ! » Piqués au vif, ils veulent refaire la scène : « On savait pas qu'on avait le droit de sauter sur les tables ! » Ils ne la referont pas. Le cinéaste veut préserver une part d'inattendu pour le tournage. Avant mai, il arrête les improvisations. « On risquait de s'user et de tomber dans les mécanismes. » Les personnages sont distribués, les acteurs sur la voie : « Ils sont moins naïfs qu'on ne veut bien le croire, pour suit le cinéaste. Ils ont assez vite intégré l'idée qu'ils n'étaient pas en train de recréer leur quotidien, mais d'en fabriquer une image avec moi. » En juillet, à l'heure fatidique du tournage, Cantet n'est pas déçu : les adolescents sont au rendez-vous et donnent ce que le cinéaste attendait d'eux. Les journées sont tendues, Laurent Cantet et ses assistants doivent parfois crier plus fort que trois profs réunis, mais la toile se tisse et les personnages se dessinent. Une table de montage est installée dans une salle et le cinéaste doit déjà faire le tri pour ne pas se laisser emporter par le flux de paroles. La veille, une scène autour du mot « juif » et de ses définitions a accouché d'une longue et vive discussion à bâtons rompus. Bégaudeau en est satisfait, sûr qu'on y entend ce qu'il pressent, que l'antisémitisme supposé de ces adolescents tient plus du folklore de collégien, du fantasme antiriche, de la jalousie sociale. Cantet s'inquiète déjà de ce qu'il pourra en garder. Comment couper ? Quelles reparties montrer ?

Préserver le politiquement correct ou l'éviter ? Cet automne, le montage sera sans doute une épreuve difficile. Mais le cinéaste n'aura qu'une idée en tête, garder le cap qui était le sien quand il est entré dans une salle de classe : « Jouer le jeu de la confrontation, de la délibération, afin qu'une parole juste des élèves puisse surgir. C'est sans doute, face au fantasme actuel de la faillite scolaire, le seul moyen de leur rendre justice. ».
Laurent Rigoulet Janvier 2007



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Dossier Pédagogique
en direction des Enseignants :


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Cahiers du Cinéma Septembre 2008 :



François, professeur de français en classe de quatrième, est assis au comptoir d’un bistrot parisien. Il passe quelques instants de sursis dans une pose immobile, pensive et tendue, tel un sprinter avant le départ. Soudain il vide son café, comme on avale une bouffée d’air avant d’accomplir un effort qu’on sait long, et fonce vers le début de l’année scolaire.

Il y a dans cette entame l’étonnante composition de spontanéité et de maîtrise, de proximité et de retenue, de lyrisme et de froideur qui caractérise le cinéma de Laurent Cantet : un équilibre précaire, mais contrôlé, entre objectif et subjectif. La longue focale d’un côté et la caméra portée de l’autre peuvent gêner. L’image tremble jusqu’à la limite du tolérable. Que signifie la présence de ce défaut superflu, sinon que le cinéaste ne s’en permettra plus aucun ? Les quatre côtés du cadre serrent la figure de notre héros, excluant tout ce qui ne serait pas son visage. Manière d’affirmer, avec la rhétorique silencieuse d’un pur cinéaste, que le film n’acceptera pas la moindre intrusion, notamment idéologique, du monde extérieur. Et, par la même occasion, qu’il ne saurait être question de porter au jour quoi que ce soit de la psychologie du professeur. Nous l’observons, un point c’est tout.


Nous avons pris cette image initiale pour entrer dans le film. Nous aurions pu en choisir une autre. N’importe quelle autre. Entre les murs est une formidable oeuvre de mise à plat entre personnages, situations, opinions. A fortiori entre plans. On pourra peut-être dire d’une scène qu’elle est plus ou moins réussie qu’une autre. On pourra, par exemple, prendre la séquence du conseil de discipline qui décide finalement de l’expulsion de Souleymane et trouver qu’il s’agit là d’une des plus fortes scènes que le cinéma français a imaginées pour opposer un jeune Noir à des fonctionnaires blancs.

N’empêche. Du point de vue du film - de Cantet si l’on préfère - aucune image n’a la priorité sur une autre. Toutes participent du même degré de réalité. Le mouvement du film ne travaille d’ailleurs qu’à montrer à quel point elles se ressemblent. On commence par trouver des affinités entre les habitants du collège Françoise Dolto. Le regard d’un élève est aussi imposant que celui d’un professeur. La félicité d’une enseignante, bientôt mère, est aussi gamine dans sa gêne qu’une adolescente mal dans sa peau. Chose plus étonnante, on finit par ne plus voir la différence entre le collège et ses habitants. Une porte reprend la couleur d’un pull, un tableau rime avec les tons d’un T-shirt, une vitrine se remplit de photos prises avec un téléphone portable. Une autre preuve de cette surprenante unité formelle pourrait être la difficulté qu’il y a à parler du cinéma de Cantet. Difficulté de placer la critique dans la modulation de la distance à l’objet, c’est-à-dire ailleurs que complètement à l’intérieur ou entièrement à côté des images.


La neutralité de la mise en scène était là dès Les Sanguinaires. La mise à plat, sensible dans la lutte entre générations de Ressources humaines, s’accordait au désoeuvrement postcapitaliste de L’Emploi du temps. La légèreté idéologique s’épanouissait enfin dans le récit de Vers le sud - dans ces pages, François Bégaudeau reconnaissait alors en Cantet le plus politiquement habile des cinéastes du « subtil » français (Cahiers n°609) lien. Entre les murs ressaisit tous ces éléments en un seul projet doté d’une extrême cohérence. À quelques mois de distance de la sélection et de la consécration cannoises, les vacances et un retour en salle de projection ne modifient guère l’impression produite par la première vision (Cahiers n°635) lien. Ils la renforcent. Le film charme et convainc. Reste également la sensation d’un projet infernal, d’une machine imbattable, d’un laboratoire cinématographique pour le fonctionnement duquel le cinéaste a dû chausser les lunettes imposantes de l’homme de science.
Il fallait au moins cela pour se risquer à introduire la caméra entre les murs de l’école (d’une école ? d’un collège difficile ? d’un établissement en Zep du 20e arrondissement [1] ? rien ne va). L’école est le thème des thèmes. C’est à la fois le lieu public par excellence, le premier que l’on rencontre dans nos vies. Et celui où la pédagogie, la sociologie, le discours politique fabriquent le plus de cloisonnements. Souvent, les cinéastes y cherchent le double de la société, la preuve de son échec ou le rêve d’une alternative. La sensation est que, en adaptant le livre de Bégaudeau, Laurent Cantet a trouvé le remède à la lourdeur et à l’abstraction des films sur l’éducation. Quelque chose qui viendrait tout droit de la sociologie, mais qui semble se décliner ici sur le mode d’un savoir physique, un principe d’indétermination : on ne peut pas connaître à la fois une école et l’école. Lorsqu’on déterre l’une, les décombres tombent sur l’autre.
Entre les murs réalise un programme qu’on sait être celui de François Bégaudeau, au moins autant que de Laurent Cantet. Programme guidé par une phrase de Nietzsche : « C’est tout bonnement un préjugé moral de croire que la vérité a plus de valeur que l’apparence. » Ce qui équivaut à dire : pourquoi la fiction devrait-elle avoir un auteur ? Un auteur, c’est-àdire quelqu’un dont la tâche serait, dans l’image, de repérer et de déconstruire la doxa. Et donc de représenter, tel Socrate dans les dialogues de Platon, l’opérateur dialectique du partage entre le vrai et le faux, le nocher du passage du particulier d’une école à l’universel de l’école.

Dans sa classe, François Marin est un Socrate diminué. « Un type qui discute de tout », pour reprendre les mots de la pugnace Sandra commentant La République. Il tente d’appliquer la maïeutique auprès de ses élèves, d’analyser et de repousser les positions de ses collègues. Le plus souvent, ses propos sont réfutés. Ce n’est jamais pour qu’un autre point de vue prenne le devant. Plutôt pour montrer une certaine fatigue de la discussion, la difficulté pour un fonctionnaire de jouer le jeu d’une circulation du pouvoir et le risque permanent qu’on utilise ses principes, ou plus simplement sa bonne volonté, contre lui.

C’est précisément aux moments où la stratégie du professeur de français semble sortir de son isolement l’élément le plus difficile de la classe, qu’un faux pas amène ce dernier droit devant le conseil de discipline, et par là à l’expulsion. Significativement, le premier cours du professeur travaille, comme on dit, l’autoportrait. Les élèves protestent vivement, après tout non sans raison : nous n’avons rien à dire, notre vie ne mérite pas qu’on s’y penche. Le film, lui, y voit l’occasion de glisser entre les murs sa propre autocritique. Encore la même fonction que tout à l’heure : la difficulté de dresser un tableau de l’école d’une part, la petite réalité d’une classe et de son quotidien de l’autre.



Si le film parvient à tenir les deux bouts, c’est qu’il élève à la critique de soi la critique de son héros François à travers l’action constante des professeurs, élèves, parents. C’est pourquoi Entre les murs n’aurait pas pu faire l’économie de la prestation des personnages secondaires. Notamment les élèves : Rachel Régulier (Khoumba), Esmeralda Ouertani (Sandra), Frank Keïta (Souleymane), pour lesquels il serait inutile d’évoquer on ne sait quel miracle naturaliste. Il s’agit de vrais comédiens, et notamment de comédiens à la Cantet : capables, autant que n’importe quels acteurs expérimentés, d’entrer dans un rôle, de donner la caricature de leur propre personnage, avant de neutraliser celle-ci par le biais d’une scène qui replace la figure sous un autre jour. Grâce à eux le film gagne en termes de modulation d’allure, de vitesse, d’accents. Leur façon de circuler dans le récit, de disparaître avec un registre et de réapparaître plus loin avec un autre rappelle assurément les personnages mineurs des autres Cantet, en particulier la prodigieuse cégétiste de Ressources humaines.

Mais s’il s’agit bien de vrais personnages, ce n’est pas sûr que l’on puisse parler de vraies personnes. Plutôt les opérateurs d’une équation de forces mise en place pour contrebalancer le vitalisme de François sur son terrain : la parole, la discussion, la dispute. Entre les murs est-il l’exposition d’une pédagogie ? Le début du film le suggère. Dans son bref entretien avec le professeur d’histoiregéo, François retourne à l’envoyeur toute tentative de l’autre, au début plutôt bien disposé, de créer des ponts entre les matières. Et ce sans autre explication que générique : « on rame », « c’est compliqué ». François a sa méthode. Dans les scènes suivantes, le film en propose, faute d’une démonstration, un essai. Il part de ce qui existe, de ce qui intéresse, ou est censé intéresser, les élèves. Et de là cherche à revenir vers son programme de langue française. C’est loin d’être toujours un succès. Surtout du point de vue disciplinaire, le film ne cesse de donner tort à l’optimisme du professeur principal, et parallèlement de confirmer celui d’histoire- géo dans son sombre bon sens.

Il n’est donc pas sûr que l’exposition d’une pédagogie soit le centre du film de Laurent Cantet, comme elle était, en revanche, assurément au coeur du livre de Bégaudeau. Le film profite des disputes d’une tout autre manière. Il enregistre la naissance d’un espace ouvert par les oppositions dialectiques entre professeurs et élèves, et plus marginalement entre professeurs ; et décoré par la présence d’objets tantôt tangibles - carnet de liaison, sonnettes, vitres, et ballons dans la cours de récréation - tantôt abstraits - les règles, les habitudes, les dispositifs.



Apparences, apparitions. Ces éléments humains, matériels et immatériels pèsent sur le quotidien du professeur, exercent une pression sur lui, s’opposent à lui, quasi physiquement ; comme en photo, le cliché positif s’oppose au cliché négatif et, en même temps, est à l’identique. Au milieu de cette dialectique permanente, tantôt joyeuse, tantôt tragique, Cantet dessine le portrait croisé d’un professeur par son école, de l’école par un enseignant : l’esquisse concrète d’un univers scolaire qui va de l’économie de la machine à café à la question des stratégies à mettre en oeuvre pour contrecarrer l’échec scolaire.

À la fin de l’année, l’école de Cantet apparaît surtout comme un lieu politique. Un grand dédale où s’exerce sous les formes les plus diverses un pouvoir : le vote, l’assemblée, le comité. C’est moins une vérité dite sur l’institution que le contrechamp dirigé vers le public. Cela sera peut-être aussi la raison du succès du film : l’envie des spectateurs de participer aux jeux de pouvoir qui défilent à l’écran, aux utopies éphémères qui y jaillissent.



Dans son livre, François Bégaudeau racontait l’aventure de François tout au long de l’année scolaire, consignant comme dans un journal la fatigue, la lutte quotidienne, les astuces plus ou moins adroites employées dans le but d’apprendre quelque chose à ses élèves. Ou pour simplement arriver à la fin du cours. Le film de Cantet ne garde du livre que le geste de ce redoublement de la conscience de l’auteur. Le long atelier mis en place pendant un an en compagnie des élèves-comédiens a été l’endroit où ce geste a eu lieu à nouveau. L’enregistrement montre pourtant une différence avec la page écrite. Voire deux. En premier lieu, François n’est plus seul avec son autre François. Il est entouré des élèves et des autres professeurs qui, au même titre que lui, ont fait l’expérience de devenir ce qu’ils étaient déjà : élèves, profs, proviseur. C’est-à-dire de faire, de leur propre être, un personnage de fiction. En deuxième lieu - plus important - la caméra de Cantet trouve une position vraiment autre, vraiment neutre. Au milieu de la classe. Loin d’un champ contre-champ entre l’auteur du livre et son double. Loin aussi d’un champ contre-champ entre celui-ci et les élèves. Un axe tiers qui met tout le monde à la même distance.

Interview de François Bégaudeau pour la sortie de "Entre les murs" adaptation de son livre du même titre.











«J’ai fait un film, pas un documentaire»
Laurent Cantet et deux professeurs de français confrontent leurs expériences et leur vision de l’école.
Débat animé par GÉRARD LEFORT ET VÉRONIQUE SOULÉ Transcription par Corinne Cantin et Christine Rouxel lundi 22 septembre 2008

Pensez-vous qu’un bon professeur soit un bon acteur?Valérie Sultan, professeur de français au collège Rosa-Parks à Gentilly (Val-de-Marne) :Sans doute y a-t-il une part où l’on joue un rôle. En même temps, c’est un métier où interviennent toutes sortes de ficelles. Il y a un cours structuré, avec une notion à transmettre, des activités bien précises. Mais dans ce film, je n’ai pas eu vraiment le sentiment de voir un professeur en train de faire un cours. La transmission du savoir, et toutes les problématiques qui y sont liées - pourtant la grande affaire de l’école - sont complètement évacuées. C’est ce qui me dérange, car je me bats pour montrer que ce qui est au cœur de l’école, ce sont les apprentissages.

Nicolas Morvan, professeur de français au collège Jean-Lurçat à Ris-Orangis (Essonne) : Le prof acteur, oui, bien sûr. Néanmoins, on ne peut pas faire abstraction de ce que l’on est, de ce que l’on aime, de ce en quoi on croit. Laurent Cantet n’a, je crois, pas cherché à montrer un professeur exemplaire. C’est très important. Dans le film, on voit d’ailleurs des enseignants qui ont des pratiques pédagogiques différentes. Un élève, au collège, aura
une trentaine de professeurs. Il me semble important que, un jour, quelque chose résonne en face de lui. Peut- être que, pour tel élève, ce sera le professeur comme François Marin dans le film et, pour un autre, celui qui ressemble au professeur d’histoire et géographie.

Comment composez-vous avec le regard des élèves?N. Morvan : Je fais d’abord très attention à la façon dont je suis habillé. Au bout d’un moment, les choses sont beaucoup plus simples. Et l’on oublie que l’on est regardé par vingt-cinq ou trente élèves.

V. Sultan : J’essaie de fonctionner comme un modèle. L’enseignant du film est d’ailleurs en difficulté là-dessus. C’est là que je suis gênée. On a ici un statut très ambigu de la réalité et de la fiction. On ne sait jamais si on est dans l’un ou dans l’autre. Or il y a des éléments que le cinéaste peut mettre en œuvre pour montrer que l’on est dans de la fiction, une musique par exemple. Beaucoup d’enseignants vont regarder ce film et en sortir assez mal à l’aise.

Laurent Cantet, cinéaste : Je conçois que le film donne une impression de réalité. C’est ce que l’on a cherché. Néanmoins, jamais je n’ai pu imaginer qu’un spectateur puisse penser qu’une telle densité d’événements arrive dans les cinq minutes que dure une séquence. Pour moi, il y avait forcément intervention d’un scénariste. Cette confusion m’a beaucoup surpris. A propos de la fonction de l’école de transmettre des connaissances, en tant que réalisateur, ce n’est pas ce qui m’a intéressé. On a tourné une scène de dictée, puis on a regardé les rushs.
On a senti que l’on ne racontait pas grand-chose. Surtout, on cassait le rythme du film, basé sur ces confrontations, ces moments où la parole échappe, où, d’un seul coup, on va non pas apprendre quelque chose, mais questionner le fait même d’apprendre cette chose-là. Ce sont ces moments qui m’intéressaient, les moments où la classe se transforme en école de la démocratie, et parfois, en école de l’école. Que fait-on là ? Pourquoi est-on là? J’ai le sentiment que si l’on n’arrive pas à partager cette question avec les élèves, on a très peu de chance de leur apprendre quelque chose, sinon un théorème ou une conjugaison qu’ils auront vite fait d’oublier.

N. Morvan: En même temps, on voit les élèves travailler, taper sur l’ordinateur les textes qu’ils ont produits, on les voit rédiger… L’exercice de la conjugaison n’arrive pas comme cela, au hasard, dans le cours. On se doute bien qu’il y a eu quelque chose de fait avant. Et quand à la fin du film, le professeur demande à chacun ce qu’il peut retenir de son année, l’un d’eux explique la tectonique des plaques, l’autre le théorème de Pythagore. On ne peut donc pas dire que le film résume l’école en un vaste forum où l’essentiel est de parler.

V. Sultan: Dans le dossier de presse, Laurent Cantet, vous dites que vous présentez les questions langagières comme centrales. J’en doute. Vous dites avoir pris plaisir à filmer les joutes verbales entre les élèves et leur
professeur. Le problème est qu’à la fin du film, on a la désagréable impression de ne pas avoir vu grand-chose d’autre qu’un match de tennis qui ne débouche pas vraiment sur le plan pédagogique. Cette question est
pourtant une véritable mine sur le plan pédagogique. Mais les réponses du professeur aux questions des élèves sont affligeantes, voire indigentes.

L. Cantet : Dans les moments que l’on montre, le professeur ne répond pas à des questions, il les suscite. Il pousse les élèves à aller plus loin dans leur raisonnement, afin de les aider à avancer, ou de leur faire prendre conscience que ce raisonnement est archaïque, non valide.

N. Morvan: Ce film, qui intervient dans un contexte politique assez particulier sur l’école, montre l’intelligence des élèves. Ils sont en mesure de prendre la parole d’une façon réglée - sur l’affiche du film, ils lèvent la main avant de s’exprimer - et de partager des arguments, valables ou non. Le professeur essaie d’en pointer les dysfonctionnements. Il ne faut pas oublier qu’un ministre (Jean-Pierre Chevènement, alors à l’Intérieur, en 1998) a parlé de «sauvageons».
V. Sultan : Au lieu de partir de ce que disent les élèves, le professeur aurait pu engager une réflexion sur les mécanismes de la langue, sur la différence entre la langue orale et la langue écrite, sur la pluralité des usages langagiers.

L. Cantet : C’est ce qu’il fait.

V. Sultan : Non. La norme langagière existe-t-elle ? Qui la fixe : les dictionnaires, les grammairiens, la rue, les académiciens ? Qu’est-ce que la norme ? Les questions langagières sont au centre d’un rapport de force. Mais lequel ? Pourquoi l’enseignant n’a-t-il pas mis ces questions sur la table ? Car quand on le fait, en montrant que les rapports de force peuvent être sociaux, culturels, une fois que tout cela est apaisé chez les élèves, l’apprentissage du passé simple devient beaucoup plus facile. Mais cet enseignant n’ouvre pas la boîte noire et
un certain nombre de savoirs universitaires qu’il aurait pu transposer pour ces élèves, il les garde pour lui. Et le français reste à la porte de la classe.

Avez-vous vécu des scènes comme dans le film dans vos classes ?

N. Morvan : J’entends la question des élèves lorsque l’enseignant tente de faire apprendre l’imparfait du subjonctif : «A quoi cela sert ?» Il y répond d’ailleurs, en parlant des niveaux de langue, des contextes dans lesquels on peut les employer, les lire.

L. Cantet : Il dit - c’est l’extrait de la bande-annonce : «C ’est quand même étrange que, chaque fois que l’on veut vous apprendre quelque chose, vous mettiez d’abord en doute la nécessité de l’apprendre. Apprenez-le, et après on en discute.» C’est le résumé de tout ce que dit le film.

V. Sultan : «Apprenez-le, et après on en discute», justement cela se discute. Le fait que le savoir soit mis en doute quand il est présenté par l’enseignant est un signe de bonne santé de l’école, qui doit mettre en évidence les grands débats, y compris historiques.

L. Cantet : On est d’accord. En fait, je n’ai pas voulu faire le portrait d’une classe difficile, mais le portrait d’élèves et d’un professeur qui, durant certains moments dans l’année, en viennent à discuter de manière presque égalitaire.

N. Morvan : En même temps, le film montre que l’égalité à l’école est une fiction. L’école n’est pas le lieu de fonctionnement de la démocratie. D’ailleurs, pour y avoir cru, l’élève qui va en conseil de discipline apparaît d’une certaine façon comme la victime.

Certains critiquent le fait que l’enseignant se mette au niveau de l’élève. Qu’en pensez-vous?
N. Morvan : Les élèves savent que l’on n’est jamais au même niveau qu’eux, qu’il y a le professeur et qu’il y a les élèves. Dans une année scolaire, il y a des moments de transmission pure, et d’autres où le niveau de langue que l’on peut employer avec eux n’est pas nécessairement celui d’une leçon de grammaire ou d’une explication de texte.

V. Sultan : Ce contrat égalitaire est complètement démagogique. Je suis responsable de leur sécurité, je mets les notes, j’organise la pédagogie, je corrige les copies. Je ne suis pas à égalité avec mes élèves.

L. Cantet : François Marin non plus n’est pas à égalité et il le sait ! Il essaie de ménager des plages où le dialogue peut avoir lieu. Et il accepte un niveau de langage qui va l’autoriser.

V. Sultan : Ce qui m’a aussi choquée, c’est la confusion entre la sphère publique et la sphère privée. Je cite le professeur : «Je veux bien vous foutre la paix.» «Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas que toi qui fais des conneries que je ne dois pas te sanctionner.» De plus, il les laisse dans la classe et se rend seul chez le proviseur. Une faute professionnelle énorme ! Je ne me suis reconnue à aucun moment dans cet enseignant. Et le statut ambigu entre la fiction et le réel fait que certains vont penser que l’école, c’est cela.

L. Cantet : C’est un problème de formation du spectateur. Peut-être n’avez-vous pas vu le film comme j’espère, on le voit, et comme beaucoup le voient. Comme un film, pas comme un documentaire.

Craignez-vous une récupération idéologique ?

N. Morvan : L’inquiétude est réelle. On sait très bien que la réaction d’un de vos collègues qui officie sur France Culture, va être la remise en cause du collège unique.

Vous pensez à Alain Finkielkraut ?

N. Morvan : Oui, mais pas uniquement. Pourtant ces élèves y ont bien leur place : ils interrogent la pertinence de certains savoirs, ils sont intelligents, réfléchissent vite, souvent bien.

L. Cantet : Cette diversité de profils dans la classe en fait la richesse. J’ai passé ma scolarité dans une petite ville de province. Nous étions entre «petits blancs», de la classe moyenne, parce que le collège unique n’existait pas encore. Déjà, certains étaient envoyés vers les classes de transition. Je n’ai pas le sentiment que les «bons»
élèves, aujourd’hui, pâtissent de cette multiplicité. Au contraire, mes enfants me semblent beaucoup plus ouverts sur le monde en étant allés au collège à Bagnolet, dans une classe qui ressemble à celle que je décris, que moi à leur âge.

N. Morvan : Il y a une vingtaine d’années, ces élèves auraient été en classe professionnelle de niveau. Ce film montre une réussite de l’école qui les accueille. Et je suis fier que Valérie, moi et les autres professeurs parvenions à les faire progresser.

L. Cantet
: On a senti ce risque de récupération juste après Cannes. Mais ces gens ont commencé à voir le film, et ils ne savent plus quoi en dire, car il décrit la complexité d’un système sans le juger. Donc on ne sait plus par quel bout le prendre pour le récupérer. On peut dire que cette classe donne un portrait dévalorisant de l’école, mais on peut aussi dire que ces gamins sont vachement intelligents. On peut dire, c’est un lieu génial parce que
l’on échange énormément. Et on peut également dire : «Attention, l’école est un lieu d’exclusion.»

V. Sultan : Le film, et le livre, s’appellent Entre les murs. Cela donne une désagréable impression d’enfermement, de claustration.

L. Cantet : On a le sentiment que l’école est une boîte noire pour toute personne qui n’a rien à y faire.

Pourquoi ce choix de rester en vase clos ?

L. Cantet : D’abord, car je pense que l’école est perméable à ce qui se passe autour. On sent combien chaque élève arrive avec ses problèmes. Ensuite, car j’avais le sentiment que cette classe devenait une espèce de caisse
de résonance, que l’on y débattait des questions plus larges que ce que les dialogues semblent dire. Enfin, parce que j’ai toujours l’impression que, quand on veut bien parler de quelque chose, on a intérêt à délimiter son regard. Car c’est dans les détails que les choses apparaissent.

N. Morvan : En même temps, l’extérieur ne cesse de s’engouffrer dans la salle de classe. Des élèves nous parlent de leurs origines à travers les matchs de foot. D’autres interrogent le professeur sur sa sexualité. Il y a aussi la
mère d’élève qui dit : «Je veux mettre mon élève dans un autre collège, parce que celui-là a mauvaise réputation.» On voit l’inquiétude des parents sur l’école, qui relève de la problématique de la carte scolaire, et dont le ministre voudrait que l’on ne débatte plus !

V. Sultan : Que l’on délimite un sujet ne me dérange pas, mais la façon de filmer en huis clos tasse la perspective. Les corps sont collés les uns aux autres. La cour de récréation est filmée en plongée, il n’y a pas de ligne d’horizon.

L. Cantet : Ce n’est pas moi qui ai construit le décor!

V. Sultan : On peut, aussi, filmer l’extérieur de l’établissement, la porte qui se trouve devant, plein de choses !
On a par ailleurs le sentiment qu’il y a, d’un côté, les gens qui font des cours magistraux et, de l’autre, ceux qui sont dans le dialogue. C’est une vision de l’école complètement binaire.

N. Morvan
: Je ne trouve pas. On voit qu’il y a une transmission de savoirs, et des élèves qui essaient de se construire dans le dialogue avec le professeur, et dans celui vis-à-vis d’eux-mêmes.

L. Cantet : Le film donne aussi l’image de la façon dont 90 % des élèves vivent l’école. A quinze ans, on a les hormones qui bouillonnent et on passe six ou sept heures par jour assis à écouter un professeur. Les gamins le vivent comme un enfermement!

V. Sultan
: Il y a une chose que vous avez bien montrée. Le film d’Alain Resnais, Mon oncle d’Amérique, transpose les recherches de biologiste Henri Laborit. Si vous mettez des souris dans une cage et que vous leur balancez des décharges électriques, elles vont finir par se jeter l’une sur l’autre pour s’entre-dévorer. Or, dans nos établissements difficiles, c’est la même chose. Les relations entre les professeurs se tendent. Que font le CPE, le chef d’établissement, l’infirmière ? Or aujourd’hui, le gouvernement diminue la taille de la cage, augmente les souris et multiplie les décharges.
L. Cantet : J’ai du mal à voir mes personnages comme des souris !

V. Sultan : Mais je regrette qu’il n’y ait pas tellement de discours sur ceux qui balancent les décharges.

N. Morvan : La solitude de l’enseignant est très bien filmée. Lors d’un entretien avec deux élèves, il exige des excuses, on les lui fait, pour finalement lui dire qu’on ne les pense pas. La porte se ferme. Après, il se retrouve seul. J’ai souvent été ému.
Beaucoup trouvent que la fin du film est pessimiste, avec cette petite fille qui finit par confier qu’elle n’a rien appris…

V. Sultan
: Je partage l’inquiétude de nombre de mes collègues par rapport à ce film. J’ai bien peur que certains le prennent pour argent comptant sur ce que pourrait être la réalité de l’école et s’en servent…

L. Cantet : Evidemment, cela n’a pas valeur de généralité, mais d’après les réactions que j’ai eues dans les salles, les parents d’élèves sont beaucoup moins choqués par le film que les professeurs. Leur grille de lecture est évidemment plus simple à établir, parce qu’ils sont moins dans cette espèce de miroir que le film semble vous tendre.


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Daniel Pennac: "La violence d'apprendre"
Propos recueillis par Eric Libio (L'express)

Ancien enseignant, l'auteur de Chagrin d'écolea vu le film de Laurent Cantet. Il a aimé. Et dit pourquoi.

"Formidable, ce film! D'abord par le jeu des élèves et des professeurs (Ah, Souleymane ! Ah, Esmeralda ! Ah, Khoumba ! Ah, M. Marin - François Bégaudeau - quels acteurs ! Et la mère de Souleymane, donc !). Ensuite par l'incroyable intensité du récit. Et, enfin, parce que le tout atteint ce rendu de fiction vraie que devait rechercher Laurent Cantet. Le spectateur est plongé tout vif dans cette classe où tout est rendu au plus près.

Des éclats d'intelligence
Mais le revers de cette force suggestive est qu'elle pourrait donner à penser qu'Entre les murs rend compte de la situation des 12 millions d'élèves qui peuplent l'école aujourd'hui. Ce qui n'est évidemment pas le cas. Nous sommes dans une classe particulière, avec des problèmes bien à elle, et j'ai visité nombre d'établissements dont la composition sociologique était la même mais le comportement des élèves très différent, parce que l'équipe pédagogique s'y prenait, avec eux, autrement.
Une classe de quatrième, donc, dans un collège du XXe arrondissement, à Paris. 14 ans, l'âge le plus difficile, celui de l'explosion biologique, qui s'exprime ici par l'explosion tout court.
Toutefois, à l'intérieur de cette tumultueuse pagaille, percent des éclats d'intelligence. Esmeralda, par exemple, un des "personnages" principaux, manifeste une rouerie shakespearienne ; c'est Iago, qui manipule, teste les limites des uns et des autres et accumule un savoir-faire dont on sent bien qu'elle s'en servira adulte.

Rechercher les limites du professeur
Mais le plus frappant, c'est la solitude générale. Un professeur craque dans la salle des profs, et quel silence chez ses collègues ! Un conseil de classe se déroule sans que personne ne tienne compte du chahut des deux élèves déléguées, et quel fossé entre ces adultes fuyants et ces adolescentes ! Les gosses, d'ailleurs, ne sont pas plus solidaires que les grands. Chacun pique sa crise personnelle au gré de circonstances toujours changeantes. "C'est sa vie, à Khoumba, moi j'm'en fous de sa vie !" lâche Esmeralda.
Pourtant, malgré cette effroyable cacophonie, le film révèle les invariants de la confrontation élève-enseignant, quelle que soit l'époque, quel que soit le milieu social : rechercher les limites du professeur, souligner ses contradictions, lui demander de justifier l'utilité du savoir, marquer en permanence le hiatus entre ce qui est enseigné et ce que l'élève affirme être le réel. Sans doute, au lycée Henri-IV, à Paris [l'un des meilleurs de France], les moeurs sont-elles différentes, mais les invariants demeurent : l'élève y cherche aussi les limites du professeur, d'une façon plus subtile, voilà tout, mais il cherche.
Ces invariants affectent aussi les professeurs, notamment lorsqu'ils se posent l'éternelle question : "Cette classe est-elle digne de recevoir ce que j'ai à lui enseigner ?" Quel élève n'a pas entendu de la bouche d'un professeur : "Vous êtes la pire quatrième, troisième, première ou terminale de ma carrière !''
Tout cela dit la violence intrinsèque à la nécessité d'apprendre et à l'obligation d'instruire. La difficulté du métier de professeur tient à ce choc perpétuel entre l'ignorance qui veut s'ignorer et le savoir toujours perçu comme venant d'ailleurs. Très violent, ici, le choc, entre ces murs, très !
L'art d'enseigner consiste sans doute à transformer cette violence en désir."




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***EN MARGE ***
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TABLEAU NOIR
La défaite de l'école
de Iannis Roder



Jeune agrégé d'histoire et géographie catapulté dès sa première rentrée scolaire dans un collège «de banlieue», Iannis Roder se heurte très vite à une réalité tragi-comique, en contradiction avec ses idéaux et le discours officiel de l'institution. Que peut-il enseigner à des enfants qui disposent de cinq cents mots pour communiquer et dont certains savent à peine lire? Des enfants à la vision simplifiée, voire simpliste, du monde. Qui ne savent pas se situer, quelque part entre leur quartier repoussoir et leur pays d'origine dont ils ne sont pas. Des enfants lâchés et trompés par le système, bercés par l'imaginaire doré de la télévision, rêvant uniquement de gloire et d'argent. Dans son établissement comme dans tant d'autres, la violence ordinaire, presque banale, charrie son lot de sexisme, d'homophobie, de racisme, d'antisémitisme...
Face à ce quotidien vécu par de nombreux enseignants, Iannis Roder nous livre un témoignage lucide, à contre-courant des non-dits et des discours condescendants. Restituant de bouleversants dialogues avec les élèves, il nous invite à retrousser nos manches, à changer le monde, l'école et à offrir des perspectives citoyennes aux enfants.

Extrait : http://www.denoel.fr/Denoel/extraits




Le Baromètre annuel du rapport à l’école
des enfants de quartiers populaires :

(Cliquez sur l'image)





La Loi du Collège
de Mariana Otero



« La loi du collège », réalisée quinze ans plus tôt, donne une perspective singulière sur la permanence des questions posées qui en ont découragé plus d’un. Ainsi lorsque la réalisatrice décidait en 1994 de faire un film axé généralement sur la thématique de la loi, son fonctionnement, ses modalités et ses difficultés à l’intérieur d’un groupe humain emblématique, l’école, et plus précisément le collège ZEP Garcia Lorca en banlieue parisienne (Saint-Denis), s’est affirmée comme le lieu idéal pour prétendre à cet examen. Accueillant des adolescents de milieux sociaux et familiaux en difficulté, les quatre murs de ce qui allait devenir un mini-laboratoire d’observation, répondait plus qu’un autre de manière très probante à cette nécessaire illustration de la réalité. Ce collège offrait notamment un éventail d’histoires sans détours, toutes porteuses des symptômes d’une l’école dans laquelle chacun pouvait se projeter en percevant en parallèles les causes d’un malaise aussi profond que récurrent. Mariana Otero raconte de plus, comment sa rencontre avec le principal du collège Garcia Lorca fut déterminante à l’heure où en 1994, la plupart des établissements refusaient habituellement l’ouverture de leurs portes aux caméras : le valeureux Monsieur Duattis est bien le héros de cette série passionnante, encadrant élèves et professeurs, des surveillants et une conseillère d’orientation qui sans exception ont donné leur accord pour être filmés. Planton au carrefour d’une jungle aussi ordinaire qu’elle est extraordinaire, le principal porteur de loi et de morale vit la réalisation de ce film comme un aide mémoire qui lui faisait défaut tant il était confronté, tout au long de l’année, à des événements aussi incalculables qu’inénarrables. En dépit des qualités du film de Laurent Cantet « Entre les murs », « La Loi du collège », par sa durée (la série est segmentée en six épisodes de 26 minutes), suggère davantage l’esprit de quotidienneté et des récurrences qui font l’école, misant sur une authenticité qui ne tient jamais, à contrario de la Palme, de la représentation. Plus encore, la série détache l’individu du groupe pour mieux s’en approcher et évoquer parfois les causes de troubles, qu’il s’agisse du gamin qui ment sur le décès de sa grand-mère pour échapper aux cours jusqu’au premier de la classe qui cherche par tous les moyens à fuir la 4ème Techno dans le but de rejoindre une section dite « normale ». Face à eux les professeurs, désemparés ou à bout, hésitants entre piquets de grève ou conseils de discipline, tentent d’éviter crachas, insultes et coups de pieds, luttent au quotidien pour enseigner l’esprit sans jamais le perdre. De fait il ressort de « La Loi du collège » le sentiment d’un chaos incontrôlable, immuable et quinze plus tard, terriblement d’actualité.

Olivier Bombarda



Avertissement aux écoliers et lycéens
de Raoul Vaneigem




L'école est le révélateur de la domination d'une conception de la société destructrice pour les rapports humains, la recherche mortifère de la rentabilité au détriment de l'épanouissement par la création. Telle est la thése de l'auteur, et sa démonstration allie l'art des formules qui font mouche à la qualité de la concision.
C'est une lecture stimulante, qui n'a rien perdu de son actualité dix ans après sa parution.

EXTRAIT : http://sami.is.free.fr/Oeuvres/vaneigem_ecoliers.html



Zéro de conduite de Jean Vigo










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