REGARDS SUR UN MASSACRE



Mardi 25 Novembre à partir de 18h30
(Mois du Documentaire)
"Regards sur un Massacre"
VALSE AVEC BACHIR de Ari Folman
MASSAKER de Monika Borgmann, Lokman Slim
En partenariat avec
la Médiathèque Louis Aragon et l'Alinea
En présence de Pierre STAMBUL Vice-Président de l’UJFP
(Union Juive Française pour la Paix)

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MASSAKER

Un film de Monika BORGMANN, Lokman SLIM et
Hermann THEISSEN




Du 16 au 18 septembre 1982, pendant deux nuits et trois jours, "Sabra et Chatila", chef-lieu de la présence palestinienne civile, politique et militaire au Liban est mis à feu et à sang.
Vingt ans plus tard, six participants à ce massacre qui a choqué l'opinion publique mondiale racontent pour la première fois leurs excès meurtriers et barbares.
Ni parodie de tribunal, ni séance de thérapie, Massaker laisse parler des tueurs pour ouvrir, au-delà de ce massacre, une réflexion sur la violence collective.





Entretien

Quelles sont les motivations personnelles qui vous ont poussés à réaliser ce film ?
Monika Borgmann : La violence est un phénomène qui me passionne depuis très longtemps ; plus exactement, ce qui pousse un homme à devenir violent et à commettre certains crimes. Je crois aussi que la question de la violence est une question universelle. Je veux dire par-là qu’il doit être possible de rechercher partout des réponses à cette question, en dépit du contexte historique, culturel et politique dans lequel elle se produit. Si bien que lorsque j’ai eu l’idée de faire un film consacré à la violence collective, le massacre de Sabra et Chatila s’est imposé de lui-même comme un sujet évident. L’idée du projet remonte à 1996, mais ce n’est qu’en 1999 que j’ai rencontré la première personne ayant participé au massacre. Je me suis entretenue deux heures avec elle, et de cet entretien est né le projet.

Lokman Slim : J’étais à Beyrouth durant l’invasion israélienne de 1982 et le massacre. La maison de mes parents se trouve à environ à un kilomètre des camps. Pendant le massacre, des rumeurs ont couru selon lesquelles de terribles choses se produisaient dans les camps. Des gens sont même venus se réfugier dans notre jardin. Mais personne ne savait vraiment ce qui se passait. Tout le monde était encore sous le choc de l’assassinat de Béchir Gémayel. Et puis, le second jour du massacre, une section des Forces libanaises a fait irruption chez nous. Ma mère a téléphoné à quelqu’un de l’armée libanaise, ils sont venus avec des tanks et ont protégé le retrait des miliciens hors de notre maison et du quartier. J’ai donc des souvenirs très personnels de ce massacre. Deux jours plus tard, je me suis rendu sur place et j’ai vu les membres de diverses organisations médicales, comme la Croix-Rouge, qui enterraient les victimes. Le massacre de Sabra et Chatila est resté gravé dans ma mémoire et n’a cessé de soulever de nombreuses questions sur l’idée de responsabilité et sur la nature humaine.


Hermann Theissen : En 1995, Monika Borgmann et moi-même, comme auteur et réalisateur/monteur respectivement, avons produit un documentaire, pour Deutschlandfunk la radio nationale allemande, consacré aux survivants de Sabra et Chatila. C’était un document important car il commémorait ce massacre presque oublié. On y analysait les circonstances de cette tuerie organisée, on montrait la responsabilité de la communauté internationale et de l’armée israélienne et, surtout, on donnait la parole aux survivants traumatisés. Mais en dépit de tout ça, j’avais le sentiment qu’il manquait quelque chose. Aux yeux des survivants, les tueurs étaient évidemment des bêtes, Les années suivantes, j’ai beaucoup travaillé sur la guerre civile dans l’ancienne Yougoslavie et j’ai été confronté aux mêmes questions là-bas. J’ai également pris part au débat suscité par les livres de Daniel Goldhagen (Les Bourreaux d’Hitler : l’Allemand moyen et l’Holocauste) et Christopher Browning (Des hommes ordinaires : le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne). Lorsque Monika Borgmann m’a annoncé en 2001 qu’elle avait retrouvé un tueur impliqué dans le massacre de Sabra et Chatila et qu’elle m’a proposé de participer au film qu’elle comptait réaliser sur ces tueurs, j’y ai immédiatement vu une chance de trouver certaines réponses à mes questions.

Pourquoi avez-vous décidé de parler exclusivement avec les bourreaux ?
M. : En écoutant les survivants, on apprendra essentiellement quelque chose sur leur souffrance personnelle, ce qui est naturellement très important et ne doit pas être évacué. Mais nous pensons qu’il y a au moins deux raisons majeures pour lesquelles parler aux bourreaux était essentiel…

L. : …Si nous voulons en savoir davantage, par exemple, sur les donneurs d’ordre, les responsables de la logistique, etc..., nous ne pouvons obtenir de telles réponses des survivants. Seuls les bourreaux peuvent répondre. En d’autres termes, si nous voulons reconstruire un événement comme celui-ci, nous avons besoin, aussi, de la parole des bourreaux. Et si nous voulons comprendre le mécanisme de la violence individuelle et collective, nous devons également les écouter, savoir ce qu’ils ont ressenti tandis qu’ils commettaient ces crimes…

H. : Il existe de nombreux films sur les victimes et les survivants des massacres. En général, lorsque vous les visionnez, vous vous identifiez aux survivants et vous n’êtes pas forcés de « comprendre » les tueurs. Seulement, comme l’Histoire l’a maintes fois prouvé, la brutalité sans limite fait partie intégrante de l’éventail des possibilités humaines. Me confronter à ces gens a par conséquent été difficile mais utile, comme il a été difficile et utile de trouver un équilibre entre les sentiments de haine qu’ils m’inspiraient et une compréhension intellectuelle de leurs actes. Je pense qu’une telle confrontation sera tout aussi douloureuse et utile pour les spectateurs et qu’elle permettra de débattre de ces questions.

Comment les avez-vous retrouvés et comment avez-vous réussi à les convaincre de parler ?
M. : Nous avons pris comme principe de base de ne pas divulguer leur identité. Mais précisons également que les six hommes qui apparaissent dans le film vivent actuellement parmi nous, au sein de la société libanaise, et mènent une vie normale.


L. : On nous a posé la même question, au cours d’une discussion à Beyrouth, après la projection de Massaker, et j’ai répondu ceci : « Tous les Libanais qui ouvriront leurs carnets d’adresse trouveront les numéros de téléphone de plusieurs personnes ayant participé à la guerre ». Au cours de cette guerre « civile », bien des massacres ont été commis par toutes les parties impliquées, pas seulement par les Forces Libanaises : ce qui signifie que tout le monde au Liban a des voisins qui ont peut-être commis le même genre de crimes. Le massacre de Sabra et Chatila reste un tabou au Liban. Il faudra attendre qu’un changement politique ait lieu dans ce pays avant de pouvoir en savoir davantage et que la responsabilité libanaise dans ce massacre soit reconnue.

M. : Trouver les bourreaux a été une chose plus aisée que nous ne le pensions. Construire avec eux une relation de confiance suffisante qui nous permette de tourner a été en revanche plus difficile.

L. : Il nous a fallu du temps pour établir une relation de confiance avec ces hommes. Nous étions à l’écoute. Nous n’avons jamais adopté l’attitude de juges ou de complices. Nous avons simplement passé beaucoup de temps à écouter ce qu’ils nous disaient sur leur histoire personnelle pendant cette guerre, leur vie quotidienne aussi. C’est ainsi que s’est développée cette relation de confiance. Au cours de cette période, qui a duré plusieurs mois, nous n’avons qu’assez rarement mentionné ou discuté de Sabra et Chatila. On s’est juste assuré qu’ils se trouvaient là ce jour-là. Nous avions peur de perdre la spontanéité du premier entretien. Et ce n’est donc qu’au moment du tournage qu’on leur a demandé de parler en détail de leurs actes lors du massacre.

Avez-vous rencontré des problèmes durant la préparation du film ?
M .: Oui. Vers la fin septembre 2001, nous avions trouvé cinq personnes qui avaient effectivement participé au massacre. Pour une raison qui nous échappe encore aujourd’hui, les Forces de sécurité ont été informées de leur implication dans ce projet et les ont arrêtées toutes les cinq.

L. : Ces cinq hommes ont été arrêtés ; mon appartement a été fouillé et nous avons même, le lendemain, été « invités à boire un café » dans un bureau de Sûreté de l’Etat ou supposée telle. Nous y avons passé huit heures durant lesquelles ils nous ont interrogés. Par la suite, les cinq hommes ont été jugés et condamnés pour avoir menti sur leur implication dans ce massacre.

M. : Après leur arrestation, nous avons dû repartir de zéro. Nous étions en novembre 2001. Et cette fois-ci, nous avons fait encore plus attention qu’avant, si bien que nous avons mené une sorte de double vie durant plusieurs mois.

Pourquoi ces hommes ont-ils décidé de parler ?
M .: Nous avons eu le sentiment qu’ils avaient besoin de parler. Et la manière dont ils ont si rapidement oublié la présence de la caméra nous a surpris. À la limite, on pourrait dire que ce tournage a été pour eux une sorte de thérapie, même si nous n’avons jamais cherché à être leurs thérapeutes. C’était la première fois qu’ils parlaient en détail de ce massacre, et ce sera probablement la dernière — une réaction, somme toute, compréhensible.

L. : En 1991, une loi d’amnistie a été votée. Du coup, plus personne au sein de l’État ne souhaite parler aujourd’hui de ces événements, ni même qu’ils soient évoqués. Et c’est peut-être une des raisons annexes qui a poussé nos témoins à parler.


Éprouvent-ils du remords face aux atrocités qu’ils ont commises ?
M. : Ils ressentent plus de pitié pour eux-mêmes que pour leurs victimes. Aucun d’eux ne remet le massacre en question ou ne sollicite, ne serait-ce qu’indirectement, le moindre pardon. Cela peut s’expliquer par le fait qu’ils agissaient en temps de « guerre civile ». Ils étaient à la fois bourreaux et victimes : chacun d’eux a perdu un membre de sa famille, un ami ou un proche.

Pensez-vous que cette loi d’amnistie a été une bonne chose pour le Liban ?
H.: Tous les massacres commis au Liban pendant la « guerre civile » sont désormais un sujet tabou. C’est ce que Hermann Lübbe a nommé le « silence communicatif » à propos de la période de l’après-guerre allemande. Mais en Allemagne, nous avons eu les Procès de Nuremberg et, dès 1968, un débat s’est ouvert sur les questions de responsabilité et de culpabilité. En Afrique du Sud, les Commissions de la vérité ont ouvert le chemin de la réconciliation. Au Liban, il y a toujours un « silence communicatif » et les anciens « seigneurs de la guerre » font toujours partie des sphères du pouvoir et de la haute société. Alors pourquoi les « gens de la rue » montreraient-ils un quelconque remords quand leurs supérieurs poursuivent leur carrière en toute impunité ? En outre, presque toutes les institutions de cette société ont été impliquées dans la « guerre civile » et les tueries : les familles riches et leurs clans, le parti communiste autant que les églises chrétiennes et les associations musulmanes, les Syriens, les Israéliens, les Palestiniens, etc... Jusqu’à présent, aucun d’eux n’a manifesté un quelconque effort d’autocritique. Si bien que d’une certaine manière, on pourrait dire : « Jusqu’à maintenant, la guerre civile n’a pas cessé ».

L. : Ce film est une protestation contre toute une culture de l’amnésie. Le Liban n’aura pas la chance, chaque fois qu’un crime est commis, de voir une commission internationale se pencher dessus. Ce film est, entre autres choses, un appel adressé aux Libanais afin qu’ils assument leur présent et leur futur aussi bien que leur passé si longtemps violent.

Certains des bourreaux qui avaient décidé de parler ont-ils fait marche arrière ?
M. : L’un d’eux a changé d’avis à la dernière minute. Depuis des semaines, son accord était chose acquise, mais il ne s’est pas présenté le jour du tournage. Dans le film, l’un des bourreaux précise que certains miliciens ont refusé d’entrer dans Sabra et Chatila en disant : « Nous ne pouvons commettre de tels actes » et qu’ils sont repartis sans être punis.

L. : Il s’agissait de l’un d’entre eux. Il avait quitté sa section et était reparti chez lui. Quelques heures après, il est revenu sur place volontairement parce qu’il avait peur d’être exclu de sa section ou d’apparaître aux yeux des autres comme un lâche. Si bien qu’il est revenu, a abattu un homme dans son lit et est à nouveau reparti chez lui. Mais il avait ainsi prouvé à sa section qu’il était un homme et que sa « virilité » ne pouvait être sujette à caution. Son histoire en dit long sur la mécanique de groupe, sa structure et ce qu’on nomme violence collective.

Comment avez-vous planifié et organisé le tournage ?
M . : On a tenté d’être le plus discret possible. Nous étions une toute petite équipe. Nina Menkes était la directrice de la photographie, Hermann Theissen l’ingénieur du son et Lokman et moi les intervieweurs. Nous n’avons pas interféré l’un sur l’autre. Il y avait une profonde compréhension entre nous. Nous savions exactement ce que nous voulions obtenir et comment y arriver. Lokman conduisait l’entretien. Ce qui nous a aidés aussi, c’est que nous soyons un homme et une femme, un Libanais et une étrangère, un homme parlant parfaitement l’arabe et une femme le parlant nettement moins bien. Ces différences nous ont permis de poser nos questions de manière différente.

Pourquoi vous êtes-vous concentré sur le langage corporel des bourreaux ?
M. : Cette idée date de 1993. J’avais effectué un long entretien avec un ancien « sniper » libanais. Et pendant cet entretien, la manière dont se mouvait cet homme assis en face de moi me semblait beaucoup plus intéressante que ce qu’il disait. Ou du moins, et plus précisément, les deux langages se complétaient. Dans la mesure où nous savions dès le départ que ces bourreaux n’auraient ni visages, ni noms, leur langage corporel pouvait devenir un parti pris de filmage.

Vous avez fait un certain nombre de choix narratifs formels comme le recours à des plans esquissant les dispositifs du massacre, à des photos, à la force évocatrice des mots. Pouvez-vous nous en parler ?
L. : Lors du tournage avec notre tout premier témoin, je lui ai demandé de dessiner un plan représentant la manière dont le massacre s’était déroulé. Et j’ai été surpris par la précision de sa mémoire. Cette idée permettait en outre de vérifier leurs informations. Si bien que nous avons décidé de leur demander, à tous, de dessiner de tels plans. Au stade du montage, nous n’avons pas cependant utilisé cet élément dans ce but précis. C’était simplement un élément visuel qui était, en tant que tel, très « beau » également. L’un d’eux a une fonction supplémentaire : je veux parler du cercle au début du film. Ce plan est si minimaliste qu’il donne au film un aspect presque universel et lui permet visuellement d’évoquer bien d’autres massacres comme ceux de Pologne, du Rwanda ou du Cambodge.

M. : Je voudrais ajouter quelque chose concernant les photographies. Il était important pour nous de confronter ces bourreaux à des photos de leurs victimes et de voir leurs réactions. Nous en avons trouvé sur Internet, ou dans des archives très facilement accessibles. Au fur et à mesure de la préparation, nous avons découvert beaucoup de choses sur les personnalités de nos témoins, et nous avons alors réfléchi à la manière dont nous les mettrions en présence de ces photos. Un exemple : nous savions que l’un d’eux, dans le privé, est peintre. Lokman a donc eu l’idée de dérouler devant lui des tirages comme on déroule une toile. Lors du montage, nous avons néanmoins fait le choix de montrer les réactions les plus variées et les plus fortes.

L. : Nous avons monté le film de manière à ce que le choc provienne du chemin que font les mots dans l’esprit du spectateur. Ce n’est pas le contenu visuel du film lui-même ni les quelques photos d’archives, d’ailleurs très floues, qui provoquent l’horreur mais bien la parole.

Pourquoi avoir fait appel à deux monteurs différents ?
M. : En Allemagne, on a d’abord travaillé avec un premier monteur, Bernd Euscher. Mais sa conception du film était totalement différente de la nôtre. On se doutait que ce serait un film difficile à monter, dès le départ. Parce que le principe du tournage était le suivant : être au plus près des corps des bourreaux lorsqu’ils parlent, ce qui n’est pas du tout évident. Il a refusé cette approche et voulait instaurer une distance et se protéger. C’est ainsi que nous l’interprétons, en tout cas. Du coup, Lokman et moi sommes retournés à Beyrouth et avons repris le processus du montage à zéro avec Anne de Mo. L’accord entre nous trois a été parfait et le film en est la preuve.

Pourquoi avoir tourné dans des lieux si anonymes ? En fonction de quels critères les avez-vous sélectionnés ?
L. : Nous voulions des décors anonymes, car ils renforcent la portée universelle du film. Était donc exclu a priori tout plan de Beyrouth, du Liban ou des camps. Ensuite la plupart des bourreaux ont des familles et nous ne pouvions les filmer chez eux. Par conséquent, nous devions trouver d’autres lieux où l’intimité d’un tournage aussi particulier pouvait être préservée.

M. : Seul un témoin a été filmé chez lui, tout simplement parce qu’il habite dans une sorte de « no man’s land ». Il s’agit de l’homme aux chats. Les montrer était une décision absolument consciente. Ça lui permettait de devenir humain. Bien sûr ces hommes sont des bourreaux et des criminels, mais ce sont d’abord des hommes. Filmer leur corps nous a permis de souligner leur « côté humain ».

Avez-vous pu vérifier la véracité des faits relatés par ces six hommes ?
L. : Durant la période de préparation du film, l’une des choses que nous avions à faire en priorité, parmi d’autres, était justement d’être certains qu’ils avaient bien participé au massacre de Sabra et Chatila. C’est le cas : nous pouvons confirmer qu’ils ont participé directement, d’une manière active, à ces massacres. Quant à la question du contenu et de la vérité de leurs témoignages, pour en juger vous devez garder présent à l’esprit deux choses : d’abord, ils témoignent vingt ans après les faits, et enfin, bien que leur témoignage soit selon nous avéré, la seule manière de savoir exactement ce qui s’est passé serait d’avoir accès aux archives des différents pays et des différentes organisations impliqués dans ce massacre : Israël, le Liban, les U.S.A, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’O.L.P., les Forces Libanaises. Il faut aussi se rappeler que le massacre a eu lieu après le retrait de la FINUL du Liban, et qu’une fois commis, aucune commission internationale n’a été constituée afin d’enquêter. En outre, il faut savoir que des 60 heures filmées, il ne reste que 100 minutes. Les éléments non retenus, les « chutes » contiennent également des informations sur le massacre qui, même si elles n’ont pas été conservées dans le montage final, confirment ce qu’on y entend. Enfin, dernière chose mais non la moindre, notre but initial n’était absolument pas de faire un documentaire d’investigation sur le massacre de Sabra et Chatila.

Comment votre film a-t-il été reçu à Beyrouth dans le cadre de la manifestation « Violence civile et souvenirs de guerre » que vous avez organisée en septembre 2005 ?
M. : Très bien. Nous sommes heureux qu’il ait provoqué de nombreuses discussions dans la presse comme à l’issue de la projection. La censure libanaise nous a autorisés à le projeter une fois lors de cet événement, mais nous espérons bien que d’autres projections auront lieu un jour. Notre film répond, semble-t-il, à un besoin de la société civile libanaise, même s’il est source de controverses. Un des plus beaux compliments que nous avons reçus a été le suivant : « Votre film aurait-il été consacré au massacre de Damour ou à un autre, il n’aurait pas été très différent parce que vous avez montré l’essentiel. Même si les motivations politiques changent, ce qui est dit sur la violence reste identique. » Ça rejoint ce que dit un de nos six bourreaux : « Tuer la première fois est difficile, la seconde fois moins, la troisième encore moins, et ensuite ça ne change plus rien. »






HISTOIRE DU LIBAN


Le pays tire son nom du mont Liban ; le nom "Liban" (aussi "Loubnan") vient du mot araméen Laban qui signifie “blanc” par référence aux neiges des montagnes libanaises.

Pays du proche-orient, le Liban est délimité à l'ouest par la mer Méditerranée (225 km de côtes) et à l'est par la dépression syro-africaine. Le pays partage ses frontières avec la Syrie sur 375 km au nord et à l'est, avec Israël sur 79 km au sud.

La population du Liban est constituée de diverses communautés religieuses : chrétiens catholiques (maronites), musulmans (chiites et sunnites), grecs orthodoxes, grecs catholiques melkites, arméniens catholiques et orthodoxes, israéliens, protestants, coptes, druzes et alawites, chaldéens, syriens catholiques.

On estime que le nombre des réfugiés palestiniens au Liban oscille entre 160 000 (estimation basse) et 225 000 (estimation haute). Dans ce pays de 3 millions et demi d'habitants, on évalue à plus de 150 000 le nombre de libanais morts et à 100 000 le nombre de blessés, depuis 1975. À peu près 900 000 personnes ont, par ailleurs, été déplacées.

1975
13 avril. Matin. Des tirs font un mort lorsde l'inauguration d'une église par Pierre Gemayel. L'après-midi, des mitrailleurs phalangistes attaquent un bus passant dans la même rue, et massacrent une partie de ses passagers palestiniens. C'est le début de la guerre civile.

1976
Les milices chrétiennes détruisent lescamps palestiniens de Quarantina et Tell el Zaatar. Les milices palestiniennes tuent les habitants de la ville de Damour. Les dirigeants maronites réclament du secours et avalisent l'intervention syrienne. La Syrie envoie 40 000 hommes pour les soutenir et combattre les Palestiniens. Le président libanais et le chef de l'OLP sont convoqués à Riyad. L'Arabie Saoudite et l'Égypte leur demandent de reconnaître la légitimité de la présence des troupes syriennesau Liban, et l'officialisent par la mise en place de la Force Arabe de Dissuasion (FAD).

1978
15 mars. Les dirigeants israéliens du Likoud lancent l’Opération Rivière Litani et envahissent le Sud Liban.
28 mars. Israël retire ses forces contrainte par la résolution 425 des Nations Unies mais multiplie les incursions armées et provoque l'exode de 200 000 Libanais.
Juillet. Déploiement de la Force Intérimaire des Nations Unies auLiban (FINUL). Israël se retire du Liban mais confie le contrôle d'une "ceinture de sécurité" d'une dizaine de kilomètres de profondeur à "l'armée du Liban libre", une fraction isolée de l'armée régulière, pour empêcher l'avancée des forces palestiniennes dans l'extrême Sud.
Septembre. Les Maronites se rebellent ouvertement contre la présence des forces syriennes au Liban et la main-mise de la Syrie sur l’Etat libanais.

1982
Juin. Les forces de l’O.L.P. n’ayant jamais cessé d’attaquer Israël à coups d’artillerie légère ou de roquettes, l'armée israélienne lance une offensive errestre, assiège Beyrouth-Ouest et affronte les forces syriennes dans la Bekaa.
Août. Élection de Béchir Gemayel, considéré par certains comme un sympathisant inavoué d’Israël, à la présidence de la République. Une force multinationale est déployée à Beyrouth afin de superviser le retrait de l’O.L.P. du Liban. 14 septembre. Assassinat de Béchir Gemayel par un membre du Parti Socialiste National Syrien.
16 et 17 septembre. Des miliciens des Forces Libanaises investissent les camps de Sabra et Chatila quasiment encerclés par les forces israéliennes et se livrent à un carnage.
21 septembre. Élection d’Amin Gemayel, le frère de Bachir Gemayel, à la présidence. Les États-Unis offrent un soutien financier pour la reconstruction de l'administration, des infrastructures et de l'armée. Un accord est signé stipulant la fin de l'état de guerre et un retrait israélien conditionné par un retrait simultané des forces palestiniennes et syriennes. Amin Gemayel dissout le commandement de la Force Arabe de Dissuasion.

1983
Avril. Un attentat contre l'ambassade américaine tue 63 personnes et fait 100 blessés.
Août. La région du Shouf fait l'objet d'un conflitentre le Parti Social Progressiste (PSP) druze et les Forces Libanaises. Walid Joumblatt remporte la victoire et force les habitants chrétiens à l'exode.
23 octobre. Des attentats suicides causent la mort de 256 marines et 56 militaires français. Ces attentats sont revendiqués par une mystérieuse organisation chiite, le Jihad islamique. Les enlèvements d'Occidentaux se multiplient à Beyrouth sous la houlette du Hezbollah apparu en 1982 sous l'impulsion de l'Iran khomeyniste.

1987
Juin. Le premier ministre Rachid Karamé, favorable à la Syrie, est assassiné.

1988
Septembre. Le mandat d'Amin Gemayelarrive à terme et le parlement ne parvient pas à se réunir et à élire un nouveau président. Gemayel nomme son chef de l'état major, Michel Aoun, à la tête d'un gouvernement militaire intérimaire. Aoun se lance dans une guerre contre la Syrie. Celle-ci établit un autre gouvernement, qui lui est plus favorable, dirigé par Selim Hoss.

1989
Les efforts conjoints du roi Hussein deJordanie, du roi Fahd d'Arabie Saoudite, et du président Chadli d'Algérie aboutissent à un cessez-le-feu exhaustif et à une rencontre parlementaire visant à la "réconciliation nationale". L'assemblée nationale se réunit à Taef en Arabie Saoudite et adopte des amendements constitutionnels favorisant les communautés musulmanes. René Mouawad est élu président, mais il est assassiné 17 jours plus tard. Le parlement élit Elias Hraoui, un député maronite proche de la Syrie. Aoun s'oppose aux accords et tente d'étendre son contrôle aux régions chrétiennes contrôlées par les Forces Libanaises.

1990
Défaite du général Aoun, les États-Unis ayant entériné la tutelle de la Syrie sur le Liban en échange de son soutien à la Guerre du Golfe.

1992
Tenue des premières élections législatives depuis 1972. Rafiq Hariri est nommé premier ministre et tente de restaurer l'équilibre rompu par le boycott des élections par les chrétiens. La Syrie le dissuade de s'allier à l'opposition chrétienne.

2000
22 mai. Israël retire totalement sestroupes du Sud Liban en accord avec la résolution 425 votée (en 1978) par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies.

2004
La motion 1559 du Conseil de Sécurité de l'ONU exige que «toutes les forces étrangères quittent le Liban»afin de permettre la tenued’élections libres. La même motion demande aussique soit mis fin aux activités militaires de la milicechiite Hezbollah et réclame le déploiement de l'armée libanaise sur l'ensemble de la frontière.

2005
14 février. L'ancien premier ministre Rafiq Hariri est tué dans un attentat. La Syrie est pointée du doigt.
28 février. 70 000 Libanais,pour l’essentiel des Sunnites, des Druzes et des Chrétiens, manifestent contre la présence syrienne.
8 mars. Les partis pro-syriens organisent une contre-manifestation qui rassemble entre 500 000 et 800 000 personnes pour dénoncer la tentative d'ingérence des puissances occidentales dans les affaires syro-libanaises.
14 mars. L’opposition libanaise à l'occupation syrienne et au régime pro-syrien en place à Beyrouth rassemble de
800 000 à 1 200 000 personnes sur la Place des Martyrs et réclame la vérité sur l'assassinat de Rafiq Hariri,le départ de la présence syrienne et la tête du gouvernement d'Omar Karamé.
26 avril. L'ONU confirme le retrait total des forces militaires syriennes du Liban (sans se prononcer sur le retrait des services de renseignement).
19 juillet. Formation du gouver-nement de Fouad Siniora, sunnite, ami d'enfance et bras droit de feu Rafiq Hariri. À l'exception du bloc parlementaire du général Michel Aoun, l'ensemble des courants politiques y sont représentés, et notamment pour la première fois le Hezbollah.



VALSE AVEC BACHIR
de Ari Folman






Dans "Waltz with Bashir", Ari Folman retrace un traumatisme individuel et collectif. Le sien et celui de son pays. Le choix, très gonflé, du cinéma d’animation renvoie à un souci d’exemplarité, histoire que chacun, en Israël, puisse se reconnaître à travers ces personnages dessinés et ordinaires, résolument non-héroïques. Quel est ce passé qui ne passe pas? Comment la mémoire s’est-elle arrangée avec les souvenirs dérangeants? Pourquoi un quart de siècle après les faits, le protagoniste principal du film, Ari lui-même donc, est-il victime de cauchemars récurrents?
Peu à peu, le puzzle identitaire s’assemble. A vingt ans, Folman fut un soldat de Tsahal. Au Liban, en 1982, il connut l’horreur des combats et la déraison sanguinaire au travail. Point d’orgue, si l’on ose dire, les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila perpétrés par les milices chrétiennes, suite à l’assassinat du président libanais Bashir Gemayel, sous l’œil (au mieux indifférent) de l’armée israélienne.
Le film bouscule la chronologie. Mêle le présent et des bribes des événements de 1982. Ari met en scène son enquête subjective. Il va voir ses potes de l’époque. Retrace avec eux une jeunesse commune. Les avertit de son ambitieux dessein ("Ce film est une thérapie"). Les réminiscences s’incarnent sur l’écran. Départ pour le Liban.



Rêveries érotiques pour conjurer la trouille. Plongée dans le quotidien des attentats et le bourbier libanais. Permissions intermittentes. Apprentissage en accéléré de l’âge adulte. Enjeux politiques et militaires flous…
Face au refus collectif de se voir dans la peau du tortionnaire
Pourquoi une mémoire si friable? Qu’avons-nous désiré à ce point ne pas voir? La grande force (esthétique et politique) de "Waltz with Bashir" tient dans cette double question que Folman se pose à lui-même et pose à son pays. Sorte de psychanalyse historique, le film, en à peine une heure trente, tend un miroir dérangeant à Israël et à ses enfants. Et ose même avancer -ce que seul un Israélien peut faire- que la mauvaise conscience nationale face à ce passé éminemment trouble s’explique peut-être par un refus collectif de se voir dans la peau du tortionnaire.
Audace sur le fond et, bien sûr, audace sur la forme. Même si l’on est plus ou moins séduit par le style d’animation (un rien pompier) mis au point par Folman; même si l’on peut regretter une certaine grandiloquence (musique omniprésente, effets sur-dramatisants), "Waltz with Bashir" demeure une œuvre atypique et, surtout, historiquement marquante.



À la fin du film, le cinéaste renonce à son procédé. Des images documentaires (cadavres de palestiniens, désolation dans les camps, errance des survivants hagards) succèdent à celles d’animation. Comme si en ayant renoué les fils de sa propre mémoire, il était temps désormais pour Ari Folman de montrer ce qu’il était vraiment advenu et qu’il convient de ne jamais oublier.


Analyse critique d'Emmanuel Burdeau :
(Cliquez sur les documents)





Entretien avec Ari Folman






Pour aller plus loin :


Dossier: Comprendre Israël en films
(Cliquez sur la photo)






3 Extraits d' Intervention Divine d' Elia Suleiman:













Liens Utiles :

Union Juive Française pour la Paix
http://www.ujfp.org/

Association de la loi de 1901, l’Union juive française pour la paix (UJFP) milite depuis 1994 pour une paix juste au Proche-Orient, et pour un dialogue judéo-arabe ici en France. Nous menons de multiples activités pédagogiques, des actions de solidarité et des initiatives de dialogue, sur le plan local comme sur l’ensemble du territoire national.

Association France Palestine Solidarité
http://www.france-palestine.org/

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